Harry Potter comme utopie sociale-impérialiste. (1/3)

Feuilleton d’une fin d’été, partie 1.

L’été est en général une période de komkommertijd, ou, en anglais de « cucumber time », c’est à dire une période de creux dans les actualités. Elle se traduit, dans les médias par des histoires de temps creux et des scandales d’été. Un exemple très français : le retour du burkini dans les journaux. Cette année, l’été n’a pas été de tout repos. Incendies, rapport du GIEC, pandémie, pass sanitaire, Afghanistan… Nous même n’avons pas chômé. Mais nous profitons de certains temps morts pour produire aussi quelque chose qui sorte un peu de l’ordinaire.

A l’origine, cet article était une note de bas de page d’un autre. Mais il a été victime d’une spirale inflationniste : en effet, pour éviter des assertions sans fondement, il fallait argumenter et fournir des preuves. De plus il formait un challenge intéressant en soi, celui de traiter un univers fictif. A ce titre, nous ne faisons pas preuve d’originalité. Bon nombre l’ont fait, avec parfois des résultats intéressants et éclairant certains processus à l’œuvre dans notre monde. Aujourd’hui, nous nous intéresseront à celui de Harry Potter.

Tout le monde connaît, au moins de nom, Harry Potter1. Beaucoup apprécient l’univers créé par J.K. Rowling, même le gouvernement Nord Coréen2. Cet univers a fait rêver des millions de jeunes et de moins jeunes. Et ce, en dépit de prises de positions parfois douteuses de son autrice, particulièrement sur la question trans, tout comme du fait que son univers pioche parfois dans un inconscient antisémite (ce sur quoi nous allons revenir).

L’obsession de certains pour l’univers de Harry Potter a parfois débouché sur une réaction de rejet épidermique.

Indépendamment de cela, l’ensemble de l’œuvre forme tant à la fois un univers merveilleux qu’une parabole intéressante sur la montée du fascisme/nazisme. Parabole d’autant plus intéressante qu’elle ne tombe pas dans les travers habituels des coups d’état, qui, le plus souvent, ne sont traités que comme des conspirations. Dans le cas de Harry Potter, l’appareil d’État est progressivement retourné par la montée en puissance des agents de Voldemort, mais le corps des fonctionnaires reste globalement en place, poursuivant son action presque comme si de rien n’était. Un des exemples et la tant haïe Dolorès Ombrage, laquelle passe de négation radicale de la menace à une acceptation totale des conséquences de celle-ci.

Le merveilleux dans le monde de Harry Potter et l’interaction Moldus / Sorciers pose aussi certaines questions sous-jacentes. Un monde trop merveilleux pour être honnête ? Si l’univers est intéressant, son système économique et social n’a absolument aucun sens. Sauf si on le replace dans une dimension différente, en le considérant comme une excroissance d’un système économique plus large, englobant l’ensemble des mondes. Nous allons nous y intéresser sous une approche marxiste : Harry Potter comme utopie sociale-impérialiste.

Définition : qu’est ce que le social-impérialisme.

Lénine définit le social-impérialisme dans l’État et la Révolution (1916) comme étant la position d’individus ou de mouvements qui sont « socialistes dans les mots, impérialistes dans les actions ». Pendant la Première Guerre mondiale, le terme a été utilisé pour caractériser la position des partis de la Deuxième Internationale, laquelle avait sacrifié les mots d’ordre de révolution et de défaitisme révolutionnaire au profit d’un soutien à leurs puissances respectives. Après la déstalinisation, le terme réapparaît chez les maoïstes pour qualifier la politique menée par Nikita Khrouchtchev dans le « bloc est ». L’organisation économique de celui-ci ponctionnant les démocraties populaires au profit de l’URSS (et de la Moscovie principalement). Il est également repris par les partisans de Enver Hoxha et les Maoïstes pour caractériser l’attitude de la Chine après la prise du pouvoir par Deng Xiaoping en 1978.

Ce terme est également employé par des spécialistes du nazisme et de l’approche comparée des régimes dit-totalitaires. Ian Kershaw l’emploie notamment pour expliquer l’adhésion des masses populaires à la politique expansionniste nazie. Ce régime avait d’ailleurs cherché à maintenir un niveau de vie élevé pour préserver ce consensus jusqu’en 1943. Avant, le pillage systématique de l’Europe et le maintient de la fabrication des biens de consommation permettait de conserver l’illusion d’une hausse du niveau de vie. Samir Amin décrit aussi ainsi le fonctionnement de Rome et d’Athènes, dans lesquels la domination sur d’autres systèmes économiques et l’esclavage étaient de qui permettait les surplus et surprofits. Il s’agissait de formations périphériques parasitaires d’autres formations économiques. Le cas ici aussi, ou le monde des sorciers est une formation économique périphérique de l’Angleterre, mais aussi de la sphère économique anglaise en général.

Ces surprofits et l’existence d’un consensus permettaient l’existence de droits politiques pour les citoyens. Un exemple actuel serait aussi la Suisse. En France, sans parler de social-impérialisme, on ne peut nier qu’il existe une dimension d’impérialisme social : le niveau de vie et les droits économiques sont aussi le fruit du parasitage.

L’économie et les classes dans Harry Potter.

Note : sauf précision, les citations et extraits proviennent du Wiki Harry Potter3

Combien sont-ils ?

La question est difficile à trancher. Il semble que selon les estimations basées sur l’école Poudlard, on oscille entre 280 et 800 élèves. Pour une cité scolaire, c’est modeste. En considérant que cela veut dire entre 40 et 100 enfants par année, en supposant que la scolarité soit obligatoire et centralisée, cela signifie pas plus de 10 000 sorciers et sorcières en Angleterre. C’est très peu. Pourtant la société est variée, bien que des fonctions soient clairement hypertrophiées, telle que la bureaucratie ou la police politique (les Aurors).

Comme nous l’avons mentionné en amont, le système économique de Harry Potter n’a absolument aucun sens si on ne lui adjoint pas d’autres éléments. Nous savons qu’il existe une monnaie et des échanges monétaires. Que cet argent confère aussi une certaine forme de statut social, avec d’ailleurs des tensions. Par exemple, entre les Malefoy et le Weasley. Les premiers étant richissimes (Le très sérieux journal Forbes évalue le patriarche comme la douzième personnalité fictive la plus riche, avec 1,3 milliards de dollars en 2006.), les seconds vivant dans une relative indigence. Il existe aussi des métiers variés. Ainsi, nous trouvons des cafetiers, des aubergistes, des commerçants, un grand nombre de bureaucrates, des enseignants… ou des outsiders parfois inquiétants. Mais nous ne trouvons aucun producteur au sens strict du terme. Ni ouvriers et ouvrières, ni paysans ou paysannes, ni constructeurs ou constructrices…4 Pourtant les aliments ne sont pas produits magiquement. Dans la liste des interdits ou des limites de la magie, l’un des wiki de fans indique la chose suivante.

« La nourriture est l’un de ceux-là : sorcières ou sorciers peuvent cuisiner et préparer des aliments en utilisant la magie, mais pas le créer à partir de rien. Sur les cinq exceptions près, il n’y a que la nourriture qui est explicitement mentionnée, bien que la spéculation a proposé de nombreuses autres possibilités. Il y a une forte possibilité que l’argent est (sic.) une autre exception, car si les sorciers ne pouvaient tout simplement matérialiser l’argent à partir de rien le système économique du monde de la sorcellerie serait gravement perturbé. »

Une partie des bâtiments, comme le 12, square Grimmaurd, siège de la Maison Black, ou le manoir Malefoy sont clairement des bâtiments issus du monde des Moldus. En revanche, les anomalies architecturales telles que la maison des Lovegood ou des Weasley semble indiquer un amateurisme important. Il n’est pas précisé comment fonctionne la construction d’une maison ou l’accès aux matériaux de construction. A l’inverse, Azkaban, la prison, a été « trouvée » mais n’a pas été, semble-t-il, construite.

Nous avons donc un système économique incomplet, caractérisé par une prédominance totale du secteur tertiaire. De plus, étant donné le niveau de sous-développement des forces industrielles et bancaires dans le monde des sorciers, il n’est pas impossible qu’il soit un système rentier, vivant de ce que Lénine appelle « la tonte des coupons ».

Une utopie sociale ?

S’il existe des pauvres et des biens de consommation considérés comme chers (les livres, le textile, les baguettes…), il faut cependant relativiser les choses. L’éducation est gratuite, tout comme l’accès aux soins. En dehors des outsiders qui hantent les mauvaises ruelles, il ne semble pas qu’il y ait de situation de mal logement ou de grande détresse. Il existe un système de redistribution, et, si certains biens de consommations semblent hors de portée des bourses les plus modestes, le welfare state magique ne peut qu’évoquer des situations de pays richissimes comme la Suisse ou le Luxembourg.

Mais pour que ce Welfare state existe, il faut bien qu’il tire ses ressources de quelque part. Nous avons une petite explication de la pauvreté relative, mais quelle est l’origine de la richesse ?

Nous connaissons les raisons de la richesse de deux familles : celles de Potter et celle des Malefoy. Ce sont des richesses avec de grands écarts. La famille Potter tire sa richesse de la vente de potions magiques par un ancêtre, génial inventeur d’une potion de guérison.

« La réponse se trouve il y a plusieurs générations, à Linfred de Stinchcombe, surnommé le potier (le Potier) et plus tard connu sous le nom de Potter. Il se mit à aider les autres en offrant des potions et des remèdes médicinaux. Il avait tellement de succès auprès des magiciens et des Moldus qu’il a réussi à amasser une grande fortune.5 »

Potter est assis sur 303 750$ environ.6 Une fortune finalement assez modeste comparativement à l’autre. Une illustration de la relative faiblesse des revenus commerciaux. Ceux de la famille Malefoy ne sont pas du même volume ni de la même origine. Ainsi, la première mention « historique » de la famille Malefoy est la suivant :

« Au cours du xie siècle, Armand Malefoy arrive en Angleterre avec Guillaume le Conquérant lors des invasions normandes. Il obtient de belles terres dans le Wiltshire en guise de récompense pour les divers services qu’il a rendu à Guillaume Ier d’Angleterre.

Par la suite, on note : « Au xive siècle, Nicholas Malefoy aurait profité de la peste noire pour se débarrasser discrètement d’un grand nombre de ses métayers moldus les plus difficiles. ».

Cet élément nous donne donc la source de la richesse : la possession foncière, exploitée par des non-magiciens, au profit des magiciens. Ce système de rente foncière est tout à fait crédible pour expliquer les transferts d’argent d’un univers vers l’autre. L’aristocratie anglaise, contrairement à la française, s’est particulièrement bien convertie au capitalisme. Il serait tout à fait crédible d’imaginer que plusieurs personnalités soient également investies dans le monde des affaires, et que la City possède son équivalent magique, ou tout du moins, une interpénétration des capitaux entre les deux mondes. D’ailleurs, cet échange est explicitement validé par l’autrice, indiquant que la banque Gringotts s’arrange pour remettre en circulation l’argent moldu qu’elle récupère7. Cependant, on note que le système bancaire est intégralement séparé du reste de la société, notamment autour d’une division socio-raciale8.

Un anticapitalisme réactionnaire ?

Le système bancaire des sorciers est détenu intégralement par les Gobelins. Ils sont en charge de la caisse des dépôts des monnaies et des biens précieux. La forme de ces richesses et leur mode d’échange (par des métaux précieux) laisse supposer que les prêts usuriers et l’endettement sont rares. Il s’agirait donc d’une société précapitalistes dans son fonctionnement interne, ce qui n’empêche pas qu’elle puisse l’être dans son fonctionnement vis à vis de l’extérieur. En somme, elle est un marché fermé et contrôlé.

La situation des Gobelins est intéressante. Leur rôle est un des points les plus critiqués dans l’univers de Harry Potter. Ils sont considérés comme des êtres à part, utiles, mais qui suscitent la méfiance et la réprobation. Ils évoquent métaphoriquement les communautés juives dans les sociétés médiévales occidentales. Ils sont dans une situation de domination sous le règne des sorciers, qui leur nient le droit de porter une baguette, et se sont révoltés par le passé pour leurs droits.

Si cette métaphore est intelligente, malheureusement, l’autrice a rajouté des éléments piochés dans un inconscient (accordons-lui le bénéfice du doute) clairement

Harry Potter : 13 personnages qui ont changé d'acteurs !: Gripsec le  gobelin - AlloCiné
Les Gobelins, une caricature antisémite involontaire ?

antisémite. Il est intéressant de voir d’ailleurs qu’ils sont particulièrement essentialisés. Des personnages comme Gripsec n’hésitent pas à trahir les héros ou à se monter sanguinaires et racistes. Ils ne bénéficient d’ailleurs d’aucune réhabilitation, contrairement à d’autres antagonistes : ainsi Gripsec est tué, victime de son avarice. La réprobation face à la fonction de banquier se traduit finalement par ce que Marx appelait « l’anticapitalisme des imbéciles » : l’antisémitisme.

1Personnellement, j’ai vu les films et lu les livres alors que j’avais plus de 25 ans. J’ai donc plus le regard du jeune adulte que celui de l’enfant ou de l’adolescent sur cette univers. Bien sûr, si vous ne connaissez absolument pas l’univers, cela rendra la lecture plus compliquée.

2https://www.businessinsider.fr/us/north-korea-harry-potter-is-a-good-example-for-kids-2020-6

3https://harrypotter.fandom.com/fr/wiki/Wiki_Harry_Potter

4Hagrid possède un potager, mais il est lui-même un outsider. Il existe aussi les Elfes de maison, dont le rôle est celui d’un prolétariat domestique réduit en esclavage. D’ailleurs, leur existence peut permettre de tracer des parallèles avec les sans-papiers à la merci de leurs patrons ou les semi-esclaves des pétromonarchies.

5https://jeuxpourtous.org/j-k-rowling-explique-pourquoi-harry-potter-etait-riche-et-combien-dargent-il-avait/

6https://jeuxpourtous.org/j-k-rowling-explique-pourquoi-harry-potter-etait-riche-et-combien-dargent-il-avait/

7https://www.cesnur.org/2001/potter/march_03.htm

8Plus que de séparation entre espèces, plus qu’il existe des hybrides comme Filius Flitwick.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *