Harry Potter comme utopie sociale-impérialiste. (2/3)

La vie politique en régime sorcier.

Le fondement du monde des sorciers est un fondement aristocratique1 / racial. Le « fandom » l’explique ainsi « Biologiquement, la magie est héréditaire ce qui permet aux sorciers de pratiquer la sorcellerie. » Les sorciers constituent une société à part, coupée du monde des non-sorciers. Les sorcier possèdent une baguette et le droit de faire de la magie. Dans un sens, ils sont des citoyens en arme, ce qui renforce le comparatisme possible avec la Grèce, Rome, ou la Suisse.

D’autres créatures intelligentes vivent parmi eux, mais bénéficient d’un statut dégradé. C’est le cas de créatures semi-sauvages (centaures), de créatures asservies (Elfes de maison), ou d’animaux exceptionnels (comme Aragog, l’immense araignée.) Il existe une stratification importante, déjà évoquée quant aux Gobelins.

Le consensus général, pilier de la société des sorciers.

La société dans Harry Potter est une société qui, malgré des troubles, est globalement harmonieuse. Il existe des mésententes et des rivalités entre factions, mais dans l’ensemble, elles restent dans un cadre tolérable et toléré par les participants. Or cette harmonie, sur quoi est elle construite ?

Il existe un point central, que nous allons appeler le consensus général. Ce consens est celui du séparatisme entre deux mondes, celui des sorciers et des non sorciers, et la relation de domination juridiquement encadrée de l’un sur l’autre. Le texte qui le définit est Le Code International du Secret Magique. Il est mis en place en 1689. Cette année n’est pas laissé au hasard. C’est l’année pendant laquelle, en Angleterre, le « Bill of rights » est adopté. Cet Apartheid basée sur la possession de talents magiques peut être interprété de plusieurs manières : le fait qu’il s’agisse d’un moment où la monarchie anglaise subisse une défaite dans sa tentative d’établir une société absolutiste. C’est un moment de séparation des pouvoirs dans la monarchie. Pour les sorciers, c’est le moment aussi de séparation avec le monde non-magique. Face à la montée de Parlements, ils se replient dans une forme d’apartheid2 aristocratique. Aristocratique et hypocrite, puisque le monde des sorciers, comme d’ailleurs les blancs d’Afrique du Sud, sont une formation économique reliée à celle de l’ensemble de la société.

Cet apartheid est supposé protéger les sorciers des non-magiciens. Il n’existe que de petites interfaces, comme Godric’s Hollow, dans lesquelles ils se côtoient. L’argument avancée par l’historienne des sorciers Bathilda Tourdesac, semble être celui d’un narrateur non-fiable : il est difficile de croire que, malgré la disproportion des forces, il soit possible aux moldus (surtout au XVIIe siècle) de pouvoir éliminer les sorciers. Cela n’empêche pas que ce soit ce que les sorciers croient, et que cela modèle leurs actions, notamment les celle des plus réactionnaires. Après tout, cette perception était aussi celle d’une grande partie des Allemands durant le début du XXe siècle, avec une portée bien plus large que celle des seuls nazis. Ils étaient persuadés d’être victime d’une tentative d’anéantissement, à la fois territoriale mais aussi culturelle et génétique.

Si la différence biologique est mise en avant, il faut aussi prendre en considération la distinction culturelle. La culture des sorciers se détache de celle des moldus et se construit aussi en opposition à celle-ci. L’acteur qui a incarné Lucius Malefoy avait d’ailleurs choisi d’accentuer ces traits, en lui donnant une coupe de cheveux et un accoutrement qui le démarque des moldus3. Soit les sorciers ont de très faibles connaissances sur les moldus et leur monde, soit, comme Arthur Weasley, ils leur vouent une passion qui ne peut qu’évoquer l’orientalisme et l’exotisme colonial. Dans chacun des cas, la barrière demeure.

Toujours est il que cette ségrégation fait que l’humanité subit des maux que les sorciers ont d’ores et déjà réglé. Il existe donc un décalage certain en termes d’IDH (Indicateur de Développement Humain) entre le monde moldu et celui des sorciers. L’intervention entre les mondes reste limitée. Au vu de ce que nous montrent les films, la Seconde Guerre mondiale a eu lieu dans cet univers fictif (Grindelwald montre ainsi la bataille d’Angleterre à son public). Donc cela signifie, si on pousse à l’extrême, que les sorciers ont laissé les génocides se faire sans sourciller.

Des espaces politiques cloisonnés.

Il n’existe aucun processus démocratique discernable dans la société des sorciers. Le ministre semble être coopté. Signe de la puissance de celui-ci, il semble qu’il ait un ascendant très important sur le premier ministre moldu. Il ne semble pas qu’il existe à proprement parler de partis politiques au sens moderne du terme, mais il existe des partis de facto représentant les différentes sensibilités.

Cette existence de partis informels illustre d’ailleurs une certaine réalité : le débat démocratique ne dépend pas de cadres formels. Il pourrait très bien y avoir autant de démocratie dans un système a parti unique (avec des débats internes forts et des échanges avec la société civile) qu’une confiscation du débat démocratique par des grands partis prétendument opposés, mais en réalité en accord sur le consensus général. En France, par exemple, il existe un consensus général des grands partis (ou des partis de gouvernement) sur la question de l’impérialisme français. Il forme la structure neurovégétative de l’économie française.

Maisons de Poudlard — Wikipédia
Les quatre tendances du monde des sorciers unies dans un consenus.

Ces sensibilités se retrouvent d’ailleurs dans la composition du groupe qui a créé Poudlard. Il définit les limites du consensus général autour de quatre maisons.

Il faut être sincères, le devant de la scène est occupé très largement par Gryffondor et par Serpentard. Les autres maisons ont un caractère très secondaire.

  • Gryffondor est la tendance la plus « à gauche » dans l’acceptation du consensus social-impérialiste. Ce sont les personnalités qui sont les moins marquées par la xénophobie et pas les présupposés racistes. On y retrouve également les mouvements progressistes comme celui de libération des Elfes. Cependant, même si certains personnages comme Arthur Weasley sont fascinés par le monde des humains normaux, aucun ne remet fondamentalement en cause la séparation entre les mondes4. Le prétexte invoqué est celui de la peur qu’en auraient les moldus. Cette école représente une posture sociale-impérialiste au sens le plus social du terme, dans le sens où les supposées luttes pour l’accroissement duwelfare state se font, de fait, sur le dos d’un autre système économique.Cette école fournit également des contingents pour la police politique (les aurors), lesquels, malgré leur bonne volonté, sont néanmoins des agents du statu quo.
  • Les écoles secondaires que sont Serredaigle ou Pouffesouffle représentent des postures intermédiaires. Pouffesouffle pourrait être caractériser comme une forme de christianisme social, marqué par la volonté de ne pas faire de mal, la gentillesse mièvre, cherchant une société d’harmonie, mais ne fracturant pas le consensus. Les intellectuels et les scientifiques de Serredaigle incarnent une forme d’observation et d’étude non participante. Ils étudient mais ne prennent pas position. Ils servent également de vivier de recrutement pour la technostructure d’État. Il y a des personnages centraux positifs qui viennent de ces écoles, mais leur rôle en tant que structure reste très secondaire.
  • Serpentard représente la faction la plus à droite. Elle est violemment xénophobe et élitiste. Elle possède un rapport ambigu au consensus général : d’une part elle y trouve un intérêt évident, de l’autre elle est idéologiquement poussée à vouloir le transgresser. Elle est mue par la peur de voir la race des sorciers effacés par l’influence des « sangs de bourbe ». Un exemple qui illustre cette contradition est celui de la famille Malefoy. Dans le canon de l’histoire de cette famille, cette dualité est soulignée : « les membres de la famille ayant vécu avant l’instauration du Code International du Secret Magique fréquentaient assidûment certains cercles mondains moldus. Leur attachement à cette sphère sociale leur a notamment fait militer contre la mise en place de cette réglementation. À l’adoption du Code International du Secret Magique, la famille Malefoy retourne sa veste, se met à affirmer leur plus vif soutient au ministère de la Magie et met un terme à toutes leurs relations moldues allant jusqu’à nier les avoir déjà fréquenté ».

La tension entre xénophobie et intérêt économique explique d’ailleurs le fait qu’un grand nombre aient pu être tentés par les aventures nihilistes et les transgressions du consensus, c’est à dire abattre la frontière entre magie et monde non magique.

1Le pouvoir des aristoï, issu du grec ἀγαθός : excellent ; le meilleur, le plus brave, le plus noble.

2Au sens de afsonderlike ontwikkeling le développement séparé.

3“Je suis allé sur le plateau, et ils avaient cette idée de moi portant un costume à rayures, des cheveux courts noirs et blancs”, se souvient Isaacs. “J’étais légèrement horrifié. C’était un raciste, un eugéniste. Il n’y a aucune chance qu’il se coupe les cheveux comme un moldu, ou qu’il s’habille comme un moldu”. Isaacs a donc suggéré à la place qu’il porte une longue perruque blanche, et un ensemble de type sorcier particulièrement ostentatoire. “Pour garder les cheveux droits, je devais pencher la tête en arrière, donc je regardais tout le monde de haut. Il y avait 50 % du personnage. J’ai demandé une canne, et Chris Columbus [le réalisateur de La Chambre des Secrets] a d’abord pensé que c’était parce que j’avais un problème avec ma jambe. J’ai expliqué que je la voulais comme une affectation pour pouvoir sortir ma baguette [de la canne]. Après une seconde de réflexion, il m’a dit : “Tu sais quoi, je pense que les fabricants de jouets vont t’adorer”. Il avait tout à fait raison.” https://ew.com/article/2010/11/22/jason-isaacs-lucius-malfoy/

4La seule exception semble être Charity Burbage, qui enseignait l’Etude des Moldus à Poudlard, mais sa courte mention, comme la courte mention de cette matière, ne permet pas d’en être certain.

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