100 ans du PC (1920-2020) – 3/3

Aujourd’hui

Aujourd’hui, il peine à pouvoir se dégager de cette situation. L’opposition interne existe, mais elle se heurte à un problème fondamental : la structure en tant que telle est devenue un frein à la rénovation du PCF. Un cercle vicieux s’est installé : quand le PCF perds, les « politiques » ont une plus grande voix au chapitre, ce qui fait que le PCF prend de meilleures positions, ce qui renforce l’emprise des élus, ce qui place en minorité l’opposition politique, ce qui réduit les scores… et le cycle recommence sans cesse, alors que la machine s’affaiblit graduellement. La véritable solution serait une déchirante remise en question de rapport du PCF à ses bastions, à ses élus, à ce qui en fait un Parti établi et intégré. Un parti dans lequel les conceptions comme l’eurocommunisme on fait leur nid.

En somme, il lui faudrait traverser un terrible désert pour renaître à nouveau, plus grand et plus fort. Mais cette Anabase1 est difficile à avaler pour tout militant ou toute militante. Elle reviendrait à jouer la carte liquidatrice… une carte bien amère.

Qu’en conclure ?

Pour formuler une analyse rapide de la trajectoire du PCF celle-ci est un drame en trois actes, à l’image des tragédies grecques. Après l’acte de la construction, des expérimentations politiques, des tentatives de s’imposer comme une force politique, est venu l’acte de la guerre. Bref, brutal, mais marquant. Couvrant le PC des lauriers de la gloire. Mais il s’ensuit un troisième acte, celui de l’intégration dans la démocratie bourgeoise, du remplacement de la figure du militant par celle de l’élu, de l’institutionnalisation du Parti. Un parti qui, dès lors, n’as plus eu de cesse que de s’étioler, de se faner.

Nous avions écrit, dans notre ouvrage En finir avec le mythe du PCF2 que ce qui fait la force du PC, aujourd’hui encore, c’est son passé, plus, bien plus, que son avenir. Mais ce passé, ces ors, à qui appartiennent-ils réellement ? Sont-ils un crédit mort, lié organiquement à un Parti qui ne les fait plus vivre ? Sont-ils au contraire un héritage vivant, réel, que chaque militant et militante, chaque groupe, chaque organisation qui se revendique de la révolution prolétarienne mondiale, peut revendiquer comme sien?

Nous affirmons que, sans en revendiquer nullement l’exclusivité, nous portons une partie de cet héritage. La mosaïque de groupes communistes qui existent aujourd’hui sont tous, même à leur corps défendant, des héritiers d’une histoire, d’une expérience.

Aujourd’hui, que faire ?

Nous sommes toutes et tous les orphelins du PCF.

Nous pensons que la question de l’organisation politique, du Parti, est une question vitale, centrale, que chaque communiste doit avoir à l’esprit.

Le PCF est de plus en plus concurrencé, notamment par des mouvements plus libres de leurs actes, tels que LFI. Il peine aujourd’hui a se démarquer et à justifier son existence, en dépit des qualités individuelles de ses membres. Dans le paysage politique français, il est transparent, translucide, et ne parvient pas à se trouver une place. Il y a d’une part une certaine forme de censure par omission, les médias ne l’invitant pas, mais il y a également une incapacité à pouvoir générer un engouement. Replié sur lui

La lutte de ligne que le PCF a connu se retrouve aussi, à l’échelle microscopique, dans l’hostilité entre les sectes qui prétendent chacune avoir découvert la vérité ultime, et qui considèrent toute déviation vis-à-vis de celle-ci comme une hérésie qu’il faut éliminer par tous les moyens. Qui refusent d’acter l’existence d’autres organisations politiques proches, en faisant des non-êtres, des non-organisation, des non-acteurs de la construction du parti.

Ce sectarisme féodal, ces seigneuries, occupent le même rôle que les bureaucraties stériles : elles forment des fiefs qu’il faut défendre, même au prix de l’objectif final. Chacun, conscient des efforts immenses consentis pour se recréer un corpus théorique, idéologique, une physionomie politique, ne veut les diluer, les perdre, dans un rapprochement, une fusion.

Lénine avait fait sienne l’adage de Napoléon « on s’engage…et on voit ». Cette volonté d’être en avant, de chercher l’opportunité tactique, de prendre des risques, de prendre des initiatives. Lénine l’a employé avec maestria dans la conduite de la politique d’unité. Les fragments de parti qui existent sont tout autant des forces que des faiblesses. Elles sont des forces dans le sens où elles ont donné une approche originale, novatrice, dépoussiérée de nombreuses questions. Hostiles les unes aux autres, elles entretiennent donc une émulation involontaire, dans laquelle chacun doit rivaliser avec les autres pour proposer un contenu d’une meilleure qualité que celui des autres. Pour avoir une meilleure communication, pour être plus inventif ou attractif.

Mais les réponses complètes, finales, aux questions qui se posent (la synthèse de l’expérience du mouvement ouvrier, la synthèse de l’expérience révolutionnaire, une compréhension profonde de la théorie) ne peuvent être réalisées dans le féodalisme sectaire. La route vers le Parti, la route vers la fin de notre situation d’orphelins, ne peut être défrichée qu’au travers d’un bond qualitatif. Et ce bond qualitatif demande une accumulation quantitative.

Savoir regarder dans le temps long.

Une erreur terrible serait de prendre l’histoire du triptyque SFIC – PC – PCF comme quelque chose d’isolé, de solitaire. De croire que le PCF s’est auto-suscité, s’est auto-invoqué, et qu’il n’est pas né d’un long processus d’agrégation, de décantation, de fusions et de clivages.

Comprenons-nous : dans la France actuelle, il existe une kyrielle d’organisations communistes se revendiquant, sous des approches diverses et parfois contradictoires, de cet immense héritage communiste. Mais beaucoup – et c’est un travers bien naturel – se figurent qu’elle pourront, dans un développement graduel, dans une accumulation uniquement quantitative, prendre la place, occuper la fonction, qu’un PC a pu occuper pendant de longues décennies.

C’est oublier que les racines du PCF étaient présentes longtemps avant que les premiers fruits ne puissent être cueillis. Il a fallu, au cours de l’ensemble du XIXe siècle, opérer un long, un très long processus d’agrégation des différents groupes, des différentes sectes, des mini-partis. Ces agrégations n’ont pas été opérées de gaîté de cœur, et ont donné lieu à des conflits de fiefs, de chefferies, de clans. Il a fallu un cadre immense, celui de la première puis de la deuxième internationale, pour permettre de pouvoir créer un espace général de décantation idéologique, un espace d’unification, qui puisse permettre que le débat prolétarien, que le débat idéologique réel, dépasse le simple cadre de l’invective, du défi, parfois de l’insulte. C’est aussi l’autorité de la IIIe internationale, autorité conférée par la réussite de la révolution Russe, qui placé les chefferies devant des choix : s’unifier et avancer, ou être des renégats.

Nous ne faisons pas exception à ces critiques, nous mêmes, sommes – bien involontairement ! traversés par ces tendances, par cette terrible pesanteur. Nous essayons de trouver des moyens de compenser, d’élargir notre horizon : travail unitaire, processus de construction commune avec l’UPML, intégration dans l’ICOR… Aucun de ces moyens n’est en soit suiffant. Mais ils contribuent à maintenir un memento mori3 dans notre organisation : nous n’oublions pas qu’elle est destinée à disparaître au profit de quelque chose de plus grand, de plus efficace, de plus approchant de notre but. Nous ne sommes pas le Parti, nous ne sommes pas l’embryon du Parti, nous sommes à-peine, des cellules-souche, travaillant à devenir quelque chose de nouveau.

Ce sont des moyens de prendre conscience du fait que nous ne sommes pas une île, mais bien que nous nous incluons dans un processus qui nous dépasse, dont les objectifs sont plus importants que l’existence de nos sectes respectives.

Apprendre du PCF, c’est savoir regarder la réalité en face. Savoir regarder les succès, les défaillances, les échecs. C’est aussi savoir conserver ce qu’il y a de juste, en tirer l’essentiel, pour en faire la synthèse la plus actuelle. Ce n’est pas importer la ligne de 1947 en 2021, en voyant la France brisée, menacée de domination. C’est comprendre le monde actuel avec l’expérience d’hier.

Le PCF a eu son histoire, il a été ce qu’il a été, ni plus ni moins. Mais ce que sera son héritage ne dépend que de nous !

Bibliographie indicative :

Christofferson, M. S., & Olivera, P. (2014). Les intellectuels contre la gauche : L’idéologie antitotalitaire en France, (1968 – 1981) (2. éd. revue et augm). Agone.

Cœuré, S. (1999). La grande lueur à l’Est : Les Français et l’Union soviétique, 1917-1939. Seuil.

Furet, F. (1995). Le passé d’une illusion : Essai sur l’idée communiste au XXe siècle. France loisirs [u.a.].

Hobsbawm, E. J. (2003). L’âge des extrêmes : Le court vingtième siècle : 1914-1991. Ed. Complexe.

Hourmant, F. (2015). 2. La dénonciation de L’Archipel du Goulag. In Le désenchantement des clercs : Figures de l’intellectuel dans l’après-Mai 68 (p. 57‑91). Presses universitaires de Rennes. http://books.openedition.org/pur/24615

Lacroix-Riz, A. (2012). L’histoire contemporaine toujours sous influence. Le Temps des cerises : Éditions Delga.

Marcuse, H. (1971). Le Marxisme soviétique. Gallimard.

Pinto, D. (1985). De l’antiaméricanisme à l’américanophilie. Commentaire, N°18, 874‑879.

Traverso, E. (2012). L’ histoire comme champ de bataille : Interpréter les violences du XXe siècle. Ed. La Découverte.

PCC (1963) D’où proviennent les divergences ? ­Réponse à Maurice Thorez et d’autres camarades (1963) | lesmaterialistes.com. (s. d.).

1 Wikipédia définit l’Anabase ainsi : « Le terme « anabase » désigne une longue expédition militaire en référence à l’Anabasede Xénophon, employé dans le sens « ascension dans le haut pays » ou « expédition de la mer vers l’intérieur montagneux d’un pays ». Nous l’employons ici comme une « traversée du désert », à l’exemple de la Longue Marche en Chine, laquelle à transformé la nature du PCC, en faisant le Parti qui a conduit à la victoire.

2Écrit en 2016, nous n’en disposons plus que d’exemplaires numérisés. Il sera réédité après correction de certaines erreurs factuelles sur l’histoire du PCF.

3Souviens toi que tu dois mourir.

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