« On s’en fout des femmes »

I. La Fête de l’Humanité 2025

La Fête de l’Humanité est un festival se revendiquant être « une fête culturelle, politique et populaire ». Ce festival est en lien direct avec le Parti communiste français (PCF). Il est l’un des plus grands festivals en France, et a réuni plus de 610 000 personnes en 2025. En parallèle des concerts se trouvent des stands d’organisations politiques, de syndicats, d’associations et d’ONG.

Cette année, encore une fois, plusieurs artistes ayant commis des violences misogynes s’y sont produits. Le 10 septembre, les comptes Instagram des militantes et collectifs féministes Sirine Sehil (@militanthemis), Clara Achour (@surviv_hante), Stop Fisha (@stopfisha), Me Too Media (@metoomedia_) et Ma voix, mon choix (@mavoixmonchoixorg) ont dénoncé la participation de quatre rappeurs à la Fête de l’Huma. Le collectif Nous toutes a également dénoncé la présence de ces agresseurs.

  • Vicelow, condamné pour violences conjugales envers son ex-femme et accusé par des danseuses de harcèlement et d’agressions sexuelles.
  • Kalash, accusé de violences conjugales par son ex-compagne, contre laquelle il a porté plainte pour diffamation.
  • TIF, accusé de viols et d’agressions sexuelles, notamment dans des tweets aujourd’hui supprimés.
  • Zamdane, accusé de violences sexuelles et de banalisation du viol dans plusieurs tweets aujourd’hui supprimés, par exemple, « c’est pas du viol si elle dort » (paraphrase).

Mais, quelles ont été les conséquences concrètes de ces accusations ? Le concert de TIF a été annulé (il a annoncé ne pas participer sans que le festival n’en explique la raison). En revanche, les trois autres agresseurs (Vicelow, Kalash, Zamdane) ont pu se produire. Zamdane a même pris la parole pendant son concert pour exprimer des regrets par rapport à certains de ses tweets, mais aussi pour appeler à la protection des victimes de viol (en général). Il fut applaudi par la foule, par des milliers de femmes féministes qui ne connaissaient pas le contenu des accusations. Puis, il a annoncé vouloir porter plainte pour diffamation contre les féministes l’ayant dénoncé.

Dans les commentaires des publications Instagram de la Fête de l’Huma, plusieurs femmes dénoncent les agresseurs : sous l’annonce de la programmation des agresseurs, sous l’annonce des horaires des concerts, sous la publication « vers une fête plus safe », etc. Aussi, Sirine Sehil a contacté le festival plus de 3 mois avant son commencement. Pourtant, les responsables du festival gardent le silence. Ils savent qu’ils ne risquent rien : tout le monde continuera à venir à leur festival même s’il y a des agresseurs sur scène.

Plusieurs personnes sont étonnées, dégoûtées même, que la Fête de l’Huma s’abaisse à ce niveau. Que la Fête de l’Huma ne réagisse pas n’est pas étonnant, après tout, elle n’est que l’émanation d’un parti ayant l’habitude de protéger des agresseurs. La Fête de l’Huma n’est qu’un festival comme un autre, c’est-à-dire une entreprise qui doit faire des bénéfices. Mais, il est tout de même affligeant que la Fête de l’Huma soit indiscernable du Hellfest.

La Fête de l’Humanité 2025, censée être le rendez-vous annuel de la gauche militante et progressiste, a mis en lumière un problème structurel que nous dénonçons depuis longtemps : la tolérance implicite envers les agresseurs dans nos espaces culturels et politiques. Sur le terrain, aucune mobilisation collective et visible n’est venue contester leur présence. Le débat est resté confiné aux réseaux sociaux. À notre connaissance, il n’y a eu aucune action de propagande sur la fête (diffusion de tracts, affichage de pancartes, blocage, etc.). Encore une fois, la lutte contre les violences sexuelles est reléguée derrière d’autres « priorités ».

La même polémique a eu lieu l’année dernière. Cela n’a eu aucune conséquence : les clients de gauche continuent d’affluer, les organisations de gauche et féministes continuent de venir.

Ce silence et cette inertie révèlent une double logique : d’une part, pour le festival « politique », la priorité donnée aux bénéfices (au spectacle, à la notoriété des artistes et à l’attractivité médiatique du festival) ; d’autre part, pour les organisations présentes, une incapacité ou une réticence à placer la lutte contre le patriarcat et les violences sexuelles au centre de leur pratique. Les collectifs féministes ont alerté, mais leurs interventions sont restées majoritairement numériques, avec peu d’impact sur le déroulé concret du festival.

Le collectif féministe Nous toutes, qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles, a dénoncé sur les réseaux sociaux la programmation d’agresseurs à la Fête de l’Huma. Mais, ce même collectif refuse de considérer sa présence comme un « signe de caution ». Pourtant, Nous toutes, ainsi que les autres organisations et personnalités féministes, continuent de venir au festival et sont de fait une caution féministe pour le festival. Il ne s’agit pas ici de critiquer gratuitement Nous toutes, bien au contraire, puisque c’est l’un des très rares collectifs à avoir dénoncé la venue des agresseurs au festival. Mais, il faut regarder la réalité en face : la Fête de l’Huma garde une image de festival de gauche, dont les valeurs seraient « meilleures » que celles des autres festivals, parce que la présence des organisations de l’ensemble du spectre progressiste lui permet de maintenir cette image.

Comment se fait-il qu’un évènement où convergent syndicats, associations féministes et militants et militantes de gauche permette que des agresseurs connus se produisent sur scène à côté d’elles et eux ?

Les organisations politiques, syndicales et associatives ne peuvent pas se permettre de rater l’un des évènements les plus importants de l’année. Participer à la Fête de l’Huma leur permet de gagner en visibilité, de faire des conférences, de vendre leurs livres et leurs goodies, de gagner de l’argent et de recruter. Cette année, il y avait 610 000 visiteurs et visiteuses : mener des actions contre la Fête de l’Huma revient à prendre le risque de ne plus y être les bienvenus, donc de se priver de son large public.

Mais, comment expliquer que tout cela puisse se produire ? La raison principale, c’est que tout le monde s’en fout des femmes ! Ici, d’un point de vue communiste, ce n’est pas seulement la Fête de l’Huma qui pose problème (c’est un festival comme un autre), ni le PCF (c’est un parti réformiste bourgeois comme un autre), ce sont principalement les organisations communistes qui n’assument pas leur rôle d’avant garde. Leur inaction est une déclaration envers les femmes : on s’en fout de vous ! C’est bien ça le problème, l’indifférence.

Pour comprendre cette indifférence, il faut revenir à la source. De quoi se rendent coupables Vicelow, Kalash, TIF et Zamdane ?

D’avoir frappé, menacé, touché, pénétré, etc., une femme contre sa volonté, c’est à dire, de s’être approprié une femme comme on s’approprie un objet, d’avoir nié son individualité, son existence en tant que sujet. Ces hommes ont considéré ces femmes pour ce qu’elles sont dans leur rôle social, celui d’objets dominés pouvant être possédés par les hommes. Pour ces hommes, ce n’est pas normal que des féministes leur reprochent de s’être comportés en accord avec leur propre rôle social, celui de sujets dominants pouvant posséder les femmes.

Pour la Fête de l’Huma, et pour les organisations de gauche présentes, il est impensable que l’on puisse leur reprocher leur inaction, c’est-à-dire que l’on puisse leur reprocher de ne pas avoir traité les agresseurs pour ce qu’ils sont : des hommes s’appropriant des femmes. Si c’est impensable, c’est parce que leur niveau théorique, politique et idéologique est trop arriéré.

Si ces artistes avaient agressé des hommes, ces organisations auraient réagi différemment. Si ces organisations considéraient les femmes de la même manière que les hommes, alors, la situation leur serait insupportable.

La plupart des organisations présentes à la Fête de l’Huma déclarent lutter contre les VSS (violences sexistes et sexuelles). Nous pouvons d’ailleurs les croiser les 25 novembre lors des manifestations pour la Journée internationale pour l’élimination de la violence envers des femmes. Mais, il y a la théorie et la pratique. Dans la pratique, plusieurs de ces organisations et partis ont par le passé pris la défense d’agresseurs en leur sein, le PCF en tête, mais aussi Révolution permanente (RP), la Ligue de la jeunesse révolutionnaire (LJR), etc. Ici, nous sommes face à une situation encore plus complexe que celle de la lutte contre les agresseurs au sein même d’une organisation ou d’un parti. Ici, il s’agit de pouvoir agir contre la représentation d’artistes agresseurs lors d’un festival.

Lors d’un festival où se produisent des artistes agresseurs, si une organisation communiste présente ne fait rien pour agir contre cette démonstration misogyne, alors elle démontre que sa ligne politique est celle du soutien silencieux au patriarcat. Ne rien faire contre une démonstration de misogynie, ce n’est pas qu’être lâche, c’est soutenir le patriarcat dans les faits.

Nous n’affirmons pas que ces organisations auraient dû trouver le moyen de monter sur scène pour affronter physiquement les agresseurs (même si cela aurait été la meilleure option). Ce que nous affirmons, c’est qu’il était parfaitement possible d’agir, même de manière minimale, de mener des actions au moins symboliques en faisant preuve d’un peu de créativité : par exemple, diffuser une propagande sur place à travers des tracts, des prises de parole au mégaphone, des débats publics, etc. Les organisations communistes ont choisi de ne pas combattre et n’ont même pas apporté leur soutien aux femmes qui, elles, s’opposaient à ces agresseurs.

Aujourd’hui, des agresseurs peuvent se produire devant des centaines de milliers de personnes à un festival « politique », ils peuvent porter plainte contre les féministes qui les dénoncent, et les organisations « révolutionnaires » ne font et ne disent rien. On peut se demander, alors, pourquoi ces organisations viennent-elles aux évènements féministes, pourquoi forment-elles des collectifs de femmes ?

Le message envoyé aux femmes est clair : vous êtes seules. « On ne luttera pas pour vous, on ne fera pas d’effort pour vous, sauf au moment où cela servira directement nos intérêts d’appareil ».

Parmi les causes de l’inaction des organisations et individus communistes, la domination patriarcale est la principale. Mais, à cela s’ajoutent d’autres raisons. Déjà, il est clair que la communication tardive des organisations féministes a eu pour conséquence que de nombreuses personnes n’étaient pas alertées de la situation, ou alors, l’ont appris trop tardivement pour planifier des actions. Nous pouvons aussi parler du phénomène d’apathie que l’on retrouve dans la gestion de toutes les situations de VSS, ou même, plus généralement, à la source de l’absence d’engagement révolutionnaire.

La majorité de la population française vit dans un grand confort, elle n’est pas opposée à sa bourgeoisie, mais bien au contraire alliée à elle. Les privilèges des prolétaires de notre pays font d’elles et eux l’aristocratie ouvrière mondiale. Dans ce contexte, il est clair qu’une petite partie de la population seulement a intérêt à changer le monde. Cela a pour conséquence que l’engagement révolutionnaire reste marginal et celui de marginaux.

De plus, l’aliénation est poussée à son paroxysme. Les individus sont isolés, seules et seuls. Il est très difficile de mettre le collectif avant soi et de risquer la perte du peu de personnes proches que l’on peut avoir.

Peu de personnes s’engagent dans les organisations communistes, et la plupart le font pour quelques années seulement. Chaque camarade est une ressource rare que l’on ne peut se permettre de perdre. Ainsi, lorsqu’un cadre d’une organisation se révèle être un violeur, il est difficile d’agir contre lui, difficile de s’en priver, alors qu’il est facile de fermer les yeux, ou de trouver un moyen pour minimiser la gravité de l’agression.

C’est ce qu’il s’est passé dans Jeunes révolutionnaires (JR) lorsque le fondateur de la section lyonnaise fut accusé de viol par son ex-conjointe, en 2021. Ce fut le déclencheur d’une scission au sein du mouvement, et donc de la création de la LJR. La victime, ainsi que la cadre qui a défendu la victime, furent réduites au silence. Des militantes et militants de JR communiquèrent leur colère sur les réseaux sociaux, mais JR ne fit aucune critique publique. Le Comité féminin populaire (CFP), lancé dans la foulée par la LJR, ne fit aucune autocritique publique non plus. Aujourd’hui, JR et LJR refusionnent sans qu’aucune autocritique n’ait été adressée au mouvement révolutionnaire. Le cadre en question, Camille Hostin, a quitté l’engagement révolutionnaire peu de temps après la scission et est aujourd’hui journaliste et multipropriétaire foncier.

4 ans plus tard, plus personne ne parle de cette histoire, tout comme ce fut le cas après le viol d’une de nos camarades, en 2015, par un membre du Parti communiste maoïste (PCM) — dont JR est issu.

Nous n’évoquons pas ces évènements passés pour attaquer gratuitement JR et LJR, qui sont aujourd’hui des organisations bien différentes de ce qu’elles étaient à l’époque de ceux-ci. Ces organisations, comme la plupart des organisations de jeunesse, connaissent un tel turnover que la grande majorité de leurs militantes et militants n’ont pas connaissance des faits qui remontent à plus de quelques années. Nous parlons de ces évènements passés parce que nous les avons connus de près, nous en connaissons les protagonistes, nous comprenons quels ont été les mécanismes qui ont amené des militantes et militants à protéger un violeur.

Ces évènements se répètent constamment au sein du mouvement communiste et progressiste. Les victimes n’ont que peu d’espace pour s’exprimer, et même lorsque des procédures existent, elles ne sont pas toujours respectées, ou qu’à moitié. C’est ce qu’il s’est passé récemment au sein de la Jeunesse communiste (JC) indépendante1. Le 12 octobre 2025, les comptes Instagram et Twitter de la JC indépendante ont annoncé que la Jeunesse communiste des Bouches-du-Rhône (JC13) ne faisait plus partie de leur coordination nationale. La raison est simple : un membre de la JC13 faisait l’objet d’une enquête suite à des accusations de VSS, et la JC13 a refusé de le suspendre (c’est-à-dire de respecter la procédure nationale). Une section entière a préféré s’isoler des autres JC plutôt que de suspendre l’un de leurs membres. Une coordination entière a préféré exclure une section plutôt que de tolérer une telle défense du patriarcat.

Nous pourrions continuer à décrire d’autres faits de VSS connus au sein du mouvement communiste et progressiste en France, mais nous voulons revenir à l’essentiel. Nous sommes bel et bien dans une guerre au cœur de nos propres rangs. Ce sont nos camarades femmes qui sont constamment attaquées, qui sont niées matériellement et idéologiquement dans leur individualité.

On ne peut pas prétendre lutter contre les violeurs, mais ne rien faire lorsqu’on a l’occasion de lutter contre certains d’entre eux. Il faut être clair : lutter est facile, même à faible intensité, pour les choses auxquelles on croit. C’est facile d’agir lorsqu’on croit en ce qu’on fait. Comme pour beaucoup de choses, ce qui manque à l’action c’est l’envie d’agir. Ici on parle d’un festival qui réunit toute la gauche française, molle comme radicale, et pourtant il ne se passe rien.

Les organisations communistes doivent être prêtes à faire des sacrifices afin de réussir à lutter dans cette situation concrète. Elles doivent être prêtes à exercer un pouvoir féministe sans craindre d’être « extrémistes ». Elles doivent redouter de ne pas en faire assez plus que d’en faire trop. Elles doivent assumer ce qu’exige concrètement le combat contre le patriarcat. Etc.

À chaque fois qu’une femme est agressée par un homme, ce sont toutes les femmes qui sont agressées. Chaque acte isolé fait partie d’un phénomène de masse mondial de négation des femmes. Ces actes sont des actes violents, employés contre n’importe quelle femme, afin de maintenir la domination de tous les hommes sur toutes les femmes, c’est-à-dire afin de maintenir un pouvoir politique sur les femmes. Peu importe que les agresseurs en soient conscients ou non, ces actes sont bel et bien des actes terroristes, employés dans le cadre d’une guerre menée sur des millénaires.

Dans le cas des agresseurs à la Fête de l’Huma, nous devons considérer leurs actes pour ce qu’ils sont : des actes terroristes. Les organisations sur place n’ont pas réagi parce qu’elles ne considèrent pas ces actes comme réellement terroristes. Elles ferment les yeux face à cette guerre, elles choisissent la facilité, elles choisissent de ne pas voir ce qui est devant leurs yeux.

II. Le pouvoir féministe

Nous avons besoin de tracer une ligne de démarcation claire entre nous et celles et ceux qui défendent le patriarcat.

Cette ligne doit se réaliser dans la pratique et implique des mesures concrètes : une mobilisation visible lors des évènements culturels et politiques, des espaces dédiés pour les victimes d’agression (du même type que ceux qui furent mis en place par des collectifs féministes lors de la Fête de l’Huma), et une lutte contre la faiblesse idéologique qui mène à la défense de facto des agresseurs (par des compromis et même la réduction au silence des victimes et des féministes).

La gauche radicale doit cesser de se contenter de débats numériques et de déclarations performatives : il faut des actions publiques et contraignantes. Des pancartes, des prises de parole sur scène, des blocages, des stands de dénonciation — toutes ces formes d’action sont nécessaires pour que la lutte féministe ait un impact sur le réel.

Les VSS sont reléguées à la sphère privée, comme si elles n’avaient rien à voir avec la sphère publique. Or, lutter contre les VSS, c’est précisément briser cette frontière invisible entre le privé et le collectif, entre l’intime et le politique. C’est ce qui rend ce combat si difficile et si inconfortable pour nombre de militantes et de militants. Combattre les VSS, c’est accepter de mettre les mains dans le cambouis, de se confronter à nos propres contradictions pour mieux construire. C’est aussi interroger les rapports entre les individus, au sein de nos cercles proches comme dans nos organisations. Lutter contre les VSS, c’est comprendre et briser les mécanismes d’objectification et d’appropriation des femmes, à l’échelle individuelle et collective.

Il nous faut le pouvoir féministe !

Nous devons revenir sur la notion de pouvoir féministe. Le pouvoir féministe n’est pas un pouvoir féminin fantasmé. C’est un pouvoir concret, qui se construit, qui se gagne, au fur et à mesure de la lutte contre le patriarcat.

Le pouvoir féministe est le pouvoir qui permet de soumettre le patriarcat. Ainsi, gagner le pouvoir féministe au sein d’une organisation communiste revient à soumettre le patriarcat au sein de cette organisation, et donc, soumettre les membres qui commettent des actes patriarcaux.

Le pouvoir féministe est le pouvoir qui permet de faire grandir les femmes. Ainsi, gagner le pouvoir féministe au sein d’une organisation communiste revient à former des cadres femmes. Nous ne devons pas avoir une majorité de cadres femmes par soucis de mixité, ou parce que les femmes seraient par essence meilleures que les hommes, mais parce que nous aurons si bien formé les cadres femmes, en théorie et en pratique, politiquement et idéologiquement, qu’elles seront meilleures que la plupart des hommes — elles seront l’avant-garde de l’avant-garde.

Cela demande à dépasser la première barrière que nous rencontrons chez la plupart des femmes : le sentiment d’illégitimité. Combien de fois avons-nous entendu des femmes nous dire qu’elles ne se sentaient pas assez formées, pas assez « bien », pour militer dans une organisation communiste ? Ce n’est pas un hasard. Ce sentiment n’est pas individuel : il est produit, entretenu, nourri par des structures militantes dominées par des comportements masculins, par un langage politique façonné par et pour les hommes. On peut parler de manque de formation, de manque de modèles féminins, mais la vérité c’est que tout est fait pour maintenir les femmes à distance, pour leur faire croire qu’elles n’ont pas leur place dans le mouvement communiste. Le milieu militant reproduit les mêmes rapports de domination que ceux qu’il prétend combattre.

Mais, ce que nous devons changer est l’élément principal de la contradiction Homme-Femme : la Femme. Les femmes ne se sentent pas légitimes parce qu’elles sont des femmes : apprendre à être une femme c’est apprendre à accepter la domination, apprendre à se soumettre, apprendre à croire qu’on est moins bien que les hommes ! Les femmes sont toujours perçues et se perçoivent comme moins intelligentes, moins fortes, moins fiables, etc., que les hommes.

Nous devons alors aborder la question du conditionnement continu des femmes depuis l’enfance qui continue tout au long de leur vie2. Nous parlons de généralité et de moyenne, non de cas spécifiques3.

Les petites filles apprennent à prendre soin des autres. Leur sphère d’action se limite très vite au foyer, leur rapport aux autres se limite très vite à la servitude envers l’autre (relation à sens unique). Leurs jeux et sports sont limités dans l’espace (marelle, danse, etc.). Leur temps est limité, leur espace, contrôlé. Elles ne sont pas encouragées à avoir de « vraies passions », mais à s’objectifier (maquillage, vêtements, etc.). Les petites filles apprennent à être des poupées sages, des princesses enfermées dans leur château, etc., sans aucun pouvoir d’action sur le monde.

Les petits garçons apprennent la coopération et le conflit. Leur sphère d’action est dans l’espace public, leur rapport aux autres est fait de relations à double sens (que ce soit dans l’agression ou la collaboration). Leurs jeux et sports sont dans de grands espaces (foot, basket, etc.). Leur temps disponible est long, leur espace, peu contrôlé. Ils sont encouragés à développer des passions et à être des sujets. Les petits garçons apprennent à être des entrepreneurs audacieux, des chevaliers héroïques, etc., avec un pouvoir d’action sur le monde.

À l’âge adulte, ce conditionnement continu. Les femmes sont des objets appropriés collectivement (par la société) et individuellement (par la famille et les amis). Elles sont confinées dans l’espace et dans leurs comportements, que ce soit par leur manière de se tenir (jambes serrées, posture de repli, etc.) ou de parler (faible niveau sonore, interventions courtes, etc.). La transformation de leur corps accapare un temps et une énergie considérable (épilation, maquillage, régime, etc.). Les femmes ne s’autorisent pas de temps pour elles, et ne sont pas autorisées à en avoir. Les femmes développent une solidarité avec certaines femmes, mais pas de sororité générale. Elles ont une présence limitée dans l’espace public, ce qui rend plus difficiles les rencontres et l’organisation collective.

Les hommes sont des sujets individuels et libres. Ils sont acteurs au sein de l’espace public. Ils prennent de l’espace, ils parlent fort, longtemps. Ils sont autorisés à prendre peu soin d’eux, et sont considérés comme étant naturellement beaux (pilosité, visage non maquillé, rides, etc.). Les hommes disposent de beaucoup de temps, donc ils ont des passions et peuvent exceller dans des domaines peu productifs (pratique du skateboard, soutien fanatique d’un club de football, fabrication de figurines, apprentissage du lore d’œuvres de fictions, exercice dans un groupe de musique amateur, etc.). Ils développent très facilement une coopération entre hommes, ou une conflictualité. Ils agissent sur le monde.

Quel impact vis-à-vis de l’engagement communiste ?

Les femmes pensent qu’elles n’ont pas de pouvoir d’action sur le monde. Elles n’ont de toute façon pas le temps de s’engager dans des activités risquant de leur être de peu d’utilité, et ne peuvent pas développer de passion pour la théorie communiste (pas comme le font les hommes). Passé 25 ans, les femmes n’ont pas le temps de militer, d’autant plus lorsqu’elles ont des enfants (ou un homme) à charge. Les femmes ne sont pas habituées à prendre de la place, à s’exprimer longtemps et fort. Lorsqu’elles militent elles restent souvent confinées à des rôles organisationnels et « maternels » peu valorisés par le collectif. Elles sont exclues de tout un pan de la camaraderie masculine (qui passe beaucoup par les contacts physiques répétés), et ne savent pas développer une sororité. Elles n’ont pas accès à la violence, ne veulent pas y avoir accès, et ne veulent pas prendre le pouvoir. Sans développement d’une sororité les femmes sont seules.

Les hommes, eux, sont persuadés d’avoir un pouvoir d’action sur le monde. Ils ont le temps et l’énergie de militer, peu importe le succès ou l’échec de l’entreprise, et peuvent développer facilement une passion obsessionnelle pour la théorie communiste. La plupart d’entre eux quittent le militantisme passé 25 ou 30 ans, bien que ce ne soit pas par manque de temps, mais par lassitude ou fatigue. Les hommes ont l’habitude d’imposer leur présence, de maîtriser le conflit (généralement via la concurrence verbale), de prendre la parole longtemps et fort, de faire du bruit lors des moments collectifs. Lorsqu’ils militent, ils prennent des rôles de porte-parole, de théoricien, etc., valorisés par le collectif. Lorsqu’ils prennent des tâches « féminines », ils sont alors davantage valorisés par le collectif que ne le sont les femmes. Ils construisent rapidement une camaraderie forte (bien qu’elle soit sentimentalement superficielle) et créent un climat viriliste via leurs comportements entre eux (comme dit précédemment par le contact physique rapproché et répété) et envers les femmes (exclusion d’un pan de la camaraderie). Ils ont accès à la violence et veulent prendre le pouvoir (dans l’organisation, dans le mouvement communiste, dans la société). Les hommes considèrent les femmes comme « différentes » dans le sens où elles ne sont pas le général (la masculinité), et donc pas totalement des camarades. Les hommes isolent les femmes.

La dévotion et l’engagement des femmes dans la lutte révolutionnaire sont difficiles à atteindre parce que cela implique la négation de tout le conditionnement social qu’elles ont vécu. Là où les hommes sont encouragés à avoir des passions, et ne subissent que peu de conséquences pour leurs actes, les femmes sont limitées dans leurs désirs et apprennent à n’être rien, à ne pas agir sur la réalité, à ne pas être une personne à part entière, à être un objet. Elles sont différentes de la norme, la norme étant l’Homme.

Un homme aura des facilités à s’engager : le communisme est une passion, l’utilisation de la violence est apprise dès l’enfance (elle les définit en partie), et ils n’ont que partiellement conscience des conséquences de leurs actes. Une femme aura du mal à s’engager : le communisme est un monde de connaissances inaccessible, la violence est prohibée, exister leur est interdit.

On entend souvent l’expression « se réapproprier son corps ». Mais, si on cherche à se réapproprier notre corps c’est parce qu’il y a appropriation en premier lieu. Il y a appropriation par un homme, par des hommes, par la société patriarcale, à travers les rapports sociaux. S’il y a objectification des femmes, cela implique qu’il y ait des sujets qui objectifient : les femmes elles-mêmes (intériorisation de la qualité d’objet, de non-être, de non-individu, d’être en dehors de la norme) et les hommes.

Sans changements des rapports sociaux, impossible de sortir de l’objectification et impossible de se réapproprier son corps. Les femmes doivent travailler à combattre l’intériorisation de ces phénomènes, individuellement et collectivement. Cela passe par ne plus se montrer (dans l’apparence physique et le comportement) comme des objets. Cela veut dire que l’on doit s’imposer, s’affirmer, exister, décider.

Les femmes comme les hommes doivent modifier leurs comportements, et c’est par la dévotion totale à la lutte pour la transformation du monde qu’elles et ils peuvent réussir à se transformer. Mais, les femmes doivent malheureusement parcourir un chemin plus long, plus ardu, que ce soit pendant leur engagement au sein de l’organisation, mais également (et surtout) avant leur engagement ! Il n’est pas possible de s’engager si l’on est paralysée par les éléments cités ci-dessus.

La violence est l’un des outils pouvant jouer dans la désobjectification. Lorsque les femmes apprennent à utiliser et utilisent la violence, elles comprennent qu’elles peuvent agir sur le monde et qu’elles peuvent conquérir l’espace public ! Rien qu’en portant des armes sur elles (nous parlons ici d’outils simples tels que les gazeuses ou les matraques télescopiques), elles comprennent, ressentent, leur capacité à agir et à dominer.

Lorsqu’une femme s’engage, c’est qu’elle a parcouru un chemin bien plus long qu’un homme. Quant à un homme, il a un travail de transformation plus long à parcourir lorsqu’il est dans l’organisation, afin de sortir du monde des apparences superficielles (le virilisme).

Bien évidemment, les femmes et les hommes se transforment au sein de l’organisation. Mais, l’engagement des femmes est bien plus réfléchi et travaillé en amont que celui des hommes.

Pour revenir au sujet initial de la lutte contre les VSS, nous devons regarder la réalité en face. Au sein de nos organisations, certains hommes vont nous trahir et vont trahir la cause communiste dans son ensemble. Pour lutter contre ces hommes au sein d’une organisation, il est nécessaire non seulement que tous les hommes et toutes les femmes soient formés aux théories féministes, mais surtout, que soit mise en place une organisation féministe forte. Cela consiste à avoir un espace où les femmes peuvent partager entre elles leurs observations, peuvent se soutenir les unes les autres, peuvent agir, peuvent instaurer une terreur féministe.

Cette terreur féministe n’est pas un frein à la camaraderie entre hommes et femmes, bien au contraire ! C’est en reconnaissant l’existence du rapport de force entre hommes et femmes que nous pouvons lutter pour le renverser. C’est en créant une camaraderie forte entre femmes qu’il est possible de créer une camaraderie forte entre hommes et femmes. C’est en reconnaissant la mise à l’écart des femmes, par les hommes, de l’espace de camaraderie, qu’il devient possible de créer un réel espace de camaraderie commun.

L’isolement des femmes par les hommes passe par des comportements quotidiens parfois difficiles à identifier puisque pris isolément les uns des autres. Ce sont des éléments de langage, des gestes, une manière de se tenir dans l’espace, de regarder l’autre, etc. Il est souvent difficile pour les femmes évoluant dans le mouvement communiste, isolées les unes des autres, d’analyser ces comportements pour les comprendre. Seul reste un sentiment vague de décalage avec le reste du groupe. Cette mise à l’écart collective des femmes est une forme de violence constante et généralisée. Non seulement elle est un facteur de désengagement, mais surtout, elle pose la base sur laquelle se reposent les autres formes de violence.

Il n’est pas possible de créer des liens de camaraderie entre hommes et femmes tant que la domination des hommes sur les femmes est laissée intacte. Toutes les formes de domination masculine au sein de l’organisation doivent être combattues, peu importe leur niveau de gravité. Le niveau de gravité détermine seulement l’ampleur des moyens mis en œuvre dans cette lutte.

Aujourd’hui, beaucoup de femmes abandonnent leur investissement révolutionnaire parce qu’elles sont épuisées par les comportements patriarcaux, les VSS en tête. Bien qu’il soit positif que les femmes prennent en main la répression contre les hommes, trop souvent ce sont elles qui doivent mettre en place des protocoles longs et contraignants pour elles-mêmes, puis, qui doivent prendre en charge le soutien aux victimes, et qui doivent encadrer la transformation des hommes. Au final, les agressions sexuelles sont tellement courantes dans le milieu militant, que certaines femmes ne font plus que travailler à la gestion des VSS. Nous perdons des femmes communistes à cause des hommes agresseurs, même lorsque ce ne sont pas elles qui sont agressées.

Les femmes communistes doivent créer un espace de sororité qui ne soit pas superficiel. Cet espace doit permettre la création d’une camaraderie entre femmes, l’analyse des comportements des camarades masculins, la mise en place d’un espace de formation féministe et communiste, la mise en place d’une pratique féministe, etc. Cet espace est l’élément essentiel au développement de cadres femmes, et au développement de la camaraderie entre hommes et femmes de l’organisation communiste.

Répétons-le, on ne peut pas transformer les rapports sociaux entre hommes et femmes sans changer les rapports sociaux du monde entier, et donc, sans prise du pouvoir du « camp » des femmes. Mais, on peut déjà agir sur les rapports sociaux au sein même de groupes réduits, tels que les organisations communistes. Bien que nécessairement imparfait, ce travail doit être mené, et considéré comme l’une des tâches les plus importantes de l’organisation.

Conclusion

Lorsqu’on parle des attaques envers les femmes, la réaction spontanée est une sous-réaction. Pourtant, chaque agression contre une femme est un acte terroriste faisant partie d’une guerre prolongée de plusieurs millénaires. Ne pas comprendre ça, c’est être aveugle à la réalité concrète de l’oppression patriarcale. Dans cette guerre, les révolutionnaires doivent agir selon leurs forces, mais l’inaction n’est pas une option.

Cette problématique demande le développement d’une théorie et d’une pratique avancées. La situation particulière à la Fête de l’Huma est représentative d’une situation générale. Elle montre qu’il est nécessaire de mener à la fois une lutte de ligne au sein du mouvement communiste pour le féminisme, et une lutte de ligne au sein du mouvement féministe pour le communisme.

La lutte de ligne au sein du mouvement communiste pour le féminisme est principale, parce que seul un mouvement communiste féministe fort pourra prendre la direction du mouvement féministe. C’est-à-dire que seul un mouvement communiste féministe fort pourra vaincre la direction bourgeoise, l’hégémonie bourgeoise, au sein du mouvement féministe.

Pour nous, cet évènement est une énième démonstration que notre ligne est juste : impossible de lutter contre le patriarcat en refusant la radicalité. Nous avons besoin de la dictature féministe ! Nous avons besoin de femmes communistes et féministes !

« Nous pouvons définir la “lutte des femmes” comme la lutte des femmes principalement prolétaires, secondairement femmes ; et le “féminisme” comme la lutte des femmes principalement femmes — les femmes en lutte contre les hommes. Nos camarades féministes sont communistes parce que pour se libérer du patriarcat, il faut se libérer du capitalisme. Assumer cette position nous met forcément en rupture avec le mouvement communiste, puisque même si nous savons que la contradiction principale dans la société française est celle entre Travail et Capital, nous défendons que les femmes doivent aussi lutter principalement pour la Femme. Nous pensons que cette position permet de faire avancer le mouvement communiste dans son ensemble, parce qu’elle permet d’aller dans le sens de l’Histoire, de sortir de la réaction, et parce qu’elle permet de renforcer l’engagement des femmes communistes. Les femmes féministes communistes s’engagent plus intensément dans la lutte des classes et dans leur développement en tant que cadres communistes que si elles restaient dans un rôle genré, soumises à la domination masculine. Notre ligne féministe répond à des besoins concrets mis en évidence par la pratique. Nous avons besoin de femmes formées et combatives pour construire le Parti, nous avons besoin que des femmes soient recrutées, qu’elles soient déterminées à lutter, qu’elles soient convaincues qu’elles se libéreront du Capital et du patriarcat, qu’elles mettent leur vie en jeu pour la libération de l’humanité entière, pour la transformation du monde4 ».

1 Dans l’année 2025, plusieurs sections du Mouvement desjeunes communistes de France (MJCF) ont décidé de quitter le mouvement, et ont fondé leur propre coordination nationale, la Jeunesse communiste.

2 La socialisation des femmes cisgenre dans l’enfance fait d’elles des femmes. Mais les femmes transgenres sont bien matériellement des femmes et sont elles aussi conditionnées à accepter la domination patriarcale. La lutte pour ne plus correspondre au rôle social de femme, rôle de soumission, doit être menée par toutes les femmes (cisgenres comme transgenres, en prenant en compte les contradictions particulières qu’elles vivent).

3 Pour aller plus loin, nous conseillons la lecture de C. Guillaumin, « Le corps construit », Sexe, Race et Pratique du pouvoir — L’idée de Nature, 1992. À l’adresse :

https://infokiosques.net/spip.php?page=lire&id_article=1618

4 « Dictature féministe », Unité communiste, 25 novembre 2024.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *