Soutien aux luttes en Iran !

L’Iran connaît à l’heure actuelle une grande mobilisation progressiste.

Les manifestations se sont déclenchées à la suite de la mort de Mahsa Amini, décédée le 14 septembre après avoir été détenue dans les locaux de la « police de la moralité » islamique à Téhéran. Son crime était le « port de vêtements inappropriés ». Si la police a nié toute violence, des images présentées comme le scanner de Masha Amini montrent « fracture osseuse, une hémorragie et un œdème cérébral ».

Son décès provoque des manifestations spectaculaires, en particulier dans la région du nord de l’Iran, peuplée de Kurdes. Dans celle-ci, l’ordre islamique s’est systématiquement heurté à des résistances importantes. Les femmes iraniennes ont défilé dans toutes les grandes villes, enlevant leur hijab en signe de résistance. À Téhéran, étudiantes et étudiants ont scandé « Femme ! Vie ! Liberté ! ». Dans plusieurs villes, en particulier au Kurdistan, les vêtements islamiques sont jetés au feu.

Répression

Le gouvernement iranien a répondu par la répression. Les réseaux sociaux ayant joué un rôle primordial dans la diffusion des informations et dans l’organisation des manifestations, ils ont été ciblés. Dès le 19 septembre, internet mobile est coupé dans la capitale. Plusieurs manifestants et manifestantes sont tués par la police, tandis que des arrestations ont lieu. Le raccordement internet de l’Iran est fortement perturbé à partir du 21.

Le lendemain, arrestations et manifestations se répondent. Plusieurs commissariats de Téhéran sont incendiés. 16 des 31 provinces d’Iran connaissent des troubles. À la date du 26 septembre, ce sont près d’un millier d’arrestations qui ont eu lieu, et 55 personnes ont été tuées par la police.

Ces mobilisations sont orientées contre la chape de plomb du gouvernement islamique. Le pays est dirigé par un Guide suprême, Ali Khamenei, nommé par l’Assemblée des experts. Elle est élue au suffrage universel. Le Guide possède des prérogatives importantes, désignant les hauts responsables militaires et la présidence judiciaire. Il incarne la prédominance du religieux sur le politique. Cependant, la politique possède aussi des marges de manœuvre : la présidence du pays, dirigée par Ebrahim Raïssi, donne une tonalité à la vie du pays. Ainsi, Hassan Rohani (2013-2021) avait fait le choix de nommer des femmes dans des postes stratégiques du gouvernement, et déclarait : « la discrimination ne serait pas tolérée ». En revanche, dans la vie de tous les jours, les inégalités sont patentes. Inégalités face au travail, inégalité face au mariage, au divorce ou à l’héritage. Leurs marges de manœuvre dans leur vie de tous les jours sont étroitement surveillées par les diverses polices et les militantes féministes sont sous la menace constante.

Colère(s)

La colère des femmes rejoint aussi les revendications régionales des populations qui vivent en Iran. Héritière de l’Empire Perse, la République Islamique d’Iran est constituée de plusieurs peuples. Une part d’entre eux tolère mal l’ordre de la capitale, qui impose des normes sociales « traditionnelles » n’ayant rien à voir avec la « tradition » qui leur est propre. Ces forces centrifuges jouent aussi un rôle dans les contestations. De plus, il existe aussi la déception d’une grande partie de la population qui souffre du chômage et de la difficulté de trouver des perspectives d’avenir. L’embargo sur l’Iran l’étouffe et contribue à alimenter un sentiment obsidional (d’encerclement) qui permet de justifier des politiques rétrogrades ou un détournement des ressources vers le nucléaire. La question sociale iranienne est un puissant détonateur, que, paradoxalement, la présence occidentale neutralise.

Nous affirmons notre soutien aux femmes d’Iran ainsi qu’aux luttes au sein de ce pays. Nous saluons le travail de nos camarades iraniens de l’ICOR, le Parti des travailleurs de la nation iranienne et de la conférence des femmes de la base. Cette solidarité est importante !

Malgré cela, l’Iran et l’Islam sont régulièrement traités avec un mépris très occidental.

La question du voile : obligation ou droit ?

Il nous paraît vital de ne pas regarder ce qui se passe en Iran avec condescendance, et non plus de tenter de tordre le bâton dans l’autre sens.

Ainsi, Charlie Hebdo, qui souffre d’une obsession névrotique pour tout ce qui touche à l’Islam, s’est mis en tête de comparer la question du voile en Iran et en France. L’idée serait que la lutte des femmes contre l’obligation de porter le voile en Iran connaîtrait une continuité en France avec les politiques contre le droit de le porter dans l’espace public. Par voie de conséquence, une partie du mouvement progressiste, qui soutient ce droit, se ferait complice du régime des ayatollahs. C’est là une falsification assez grossière. Nous considérons qu’il existe en réalité deux luttes qui s’imbriquent : d’une part, la lutte contre des politiques d’obligation faites au femmes sur ce qu’elles doivent faire de leur corps (que ce soit le couvrir ou l’exposer), et, d’un autre côté une lutte de long terme contre les aspects réactionnaires des pratiques religieuses. Or cette lutte ne se fait pas contre la foi, contre les musulmanes et leur droit d’être dans l’espace public, mais avec elles.

L’Iran : un pivot géopolitique

L’Occident regarde cette lutte avec condescendance et profite de cette occasion pour donner des leçons de modernité. Or, l’Iran moderne est l’héritier d’une civilisation plurimillénaire qui ne se résume pas à la domination de la clique au pouvoir depuis 1979. Le pays est urbain, avec une économie relativement développée, malgré les sanctions particulièrement fortes imposées unilatéralement par les USA. La crise que traverse le pays n’est pas tant une crise liée à l’étouffement complet du pays sous le poids du régime, qu’une crise d’accès à un système moderne et égalitaire entre les sexes, liée au développement de la société.

Il en profite aussi pour solder ses comptes avec un régime honni. Mais l’Iran n’est pas honni pour son rapport à la religion. Après tout, cela ne pose pas de problème de s’aligner sur les oulémas du Golfe, ou de soutenir Nouri al-Maliki, le très intolérant dirigeant sunnite irakien. Il l’est avant tout pour son alignement géopolitique, du mauvais côté de la géopolitique mondiale. L’Iran est dans une logique d’alignement avec la Russie et la Chine, tout en se présentant comme le défenseur tutélaire des chiites du Moyen-Orient, ainsi que de communautés leur étant rattachées (comme les alaouites). Cela le pousse à s’opposer aux deux puissances locales : Turquie et Arabie Saoudite, tandis que ses liens avec le Liban le poussent à être en conflit avec Israël. Paradoxalement, l’Iran a annoncé qu’il soutenait l’Arménie contre l’Azerbaïdjan, ce qui l’amène à être, pour une fois, aligné avec l’Occident.

Or, les sanctions et les menaces sur l’Iran ne contribuent pas à aider les Iraniennes. C’est au contraire par le dialogue, par la levée des sanctions que le régime répressif s’affaiblira. Il a bâti son « contrat social » sur l’indépendance iranienne et sur la défense acharnée du pays contre les interventions extérieures. Les Bernard Henri Lévy, qui se disent qu’il est bon de sauter sur l’occasion pour étrangler encore davantage le pays, ne feront que retarder la victoire des femmes iraniennes. Ils donnent raison au régime dans sa peur de l’étranger. L’histoire a montré que la situation des femmes dans les pays où l’occident est intervenu s’est systématiquement dégradée (Irak, Libye, Syrie). L’aide que nous pouvons apporter ne passera donc pas par les bombes.

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