Harry Potter comme utopie sociale-impérialiste. (3/3)

La transgression du consensus : Grindelwald et Voldemort.

Avant les événements de Harry Potter, un sorcier extrêmement puissant, Grindelwald, avait mené une croisade pour la suppression de cette muraille intangible entre monde des sorciers et des humains. Au nom de « Pour le plus Grand Bien », devise qu’il fit graver devant sa prison de Nurmengard, il avait établi un principe de gouvernement : les sorciers, en tant qu’aristocratie, devaient exercer directement le pouvoir sur l’ensemble du monde. Cette croisade avait suscité de nombreux adeptes, principalement en Europe de l’Est (une manière anticommuniste de l’associer à cet espace), avant d’être défaite en 1945.

Il n’est pas nécessaire ici de revenir sur le parallèle entre ce personnage et Hitler. Mais ce parallèle n’est pas intégralement cosmétique. D’une part car ce personnage a exercé une séduction importante sur Dumbledor, le plus puissant sorcier d’Angleterre, un des principaux adjuvants du trio de héros. Il incarne une espèce de Churchill-bis1. Tout comme Churchill, il existe une part d’ombre : Churchill, au même titre que Hitler, avaient pour père spirituel Houston Stewart Chamberlain, gendre de Wagner, et véritable architecte de la pensée raciste moderne, notamment du mouvement völkisch2. Il est notable que les conceptions racistes/biologiques sont très présentes dans la société des sorciers. Les enfants de moldus sont nommés « sangs de bourbe ». Ils ne sont pas moqués pour leur culture, même si celle-ci est méprisée, mais pour leur biologie, leur sang. Des personnalités fictives comme Grindelwald ou Voldemort n’ont donc eu qu’à se baisser pour ramasser ces idées.

Houston Stewart Chamberlain — Wikipédia
Houston Steward Chamberlain, un des fondateurs du racisme moderne.

Dans l’univers de Harry Potter, Grindelwald et Voldemort sont les seuls « révolutionnaires ». Mais ils sont révolutionnaires au même titre que l’étaient les nazis, c’est à dire des révolutionnaires coperniciens. Leur révolution est un retour au départ, par l’abolition d’une barrière légale entre les mondes.

Le but du mouvement de Grindelwald était donc d’exercer une direct rule sur le monde des humains, certainement pour mettre en place une dictature terroriste. Mais il reste pour le moment peu détaillé, et il est difficile de connaître l’impact qu’il a pu avoir sur le monde des sorciers en Angleterre. Il semble que sa tentative ait suscité une réprobation générale3.

Les tentatives de domination par Voldemort, principal antagoniste des livres, sont mieux connues. Né le 31 décembre 1926, le jeune Tom Jedusor a 19 ans au moment de la défaite de Grindelwald. En dehors de leur quête commune pour la puissante baguette de sureau, rien n’est connu de leurs relations. Il ne semble pas qu’il ait suscité l’intérêt du jeune homme, comme en témoigne d’ailleurs le fait qu’il n’ai pas été capable de le reconnaître en fouillant dans les souvenirs du fabriquant de baguette Gregorovitch.4

Le mouvement de Voldemort, du moins dans sa seconde édition5, relatée par les livres, s’appuie sur une double composante : comme le nazisme, il est à la fois populiste et à la fois aristocratique. L’alliance qu’il est parvenu à fonder est extrêmement contradictoire, contradiction accentuée par la narration manichéenne : les créatures laides et malfaisantes s’unissent ainsi aux aristocrates de Serpentard. Les autres factions restent dans l’attente ou dans l’opposition. Les motifs qui apparaissent dans les romans sont d’origine idéologiques ou humanitaires, mais on peut réalistement supposer que la peur de l’instabilité joue un rôle.

  • Dans cette alliance, les aristocrates espèrent réduire en esclavage le reste de l’humanité entière, ils espèrent à la fois pouvoir accroître leur richesse par un contrôle plus important et plus direct des marchés. Cette composante est essentielle : la stabilité et l’accroissement des marchés sont des facteurs vitaux dans le choix des options politiques. Ainsi, aujourd’hui, une partie de la très grande bourgeoisie française est d’extrême-droite dans son ethos, dans sa manière d’être, mais elle soutien les options libérales comme Macron, et non pas des aventuriers instables comme le RN. De même, les fascistes les plus intelligents sont allés à l’UDI (parti du centre), car c’était là qu’ils pouvaient peser dans la balance. A leurs yeux, le RN est une petite boutique poussiéreuse. Cependant, il existe une tension importante entre les buts impérialistes de l’offensive de Voldemort et son contenu nihiliste et exterminateur, qui, lui, effraie les marchés. Il ne faut absolument pas sous estimer la notion de stabilité des marchés ainsi que leur importance. La négation du retour du mage noir joue par le Ministère est motivé par la peur d’une crise, d’une situation d’instabilité, ou d’un coup d’État de la part de Dumblerdore. Cette peur de la provocation l’anesthésie tellement que, au final, il préfère accepter intégralement de passer sous la coup de Voldemort que de créer une situation de flottement. Le corps des fonctionnaire et la police passe sans problème d’un camp à l’autre.
  • Pour les créatures de la nuit, la suppression des barrières juridiques pouvait laisser supposer l’apparition d’une certaine forme d’isonomie : d’égalité devant la loi. C’est également la possibilité de poursuivre les buts brutaux de certaines parties d’entre eux : détraqueurs voleurs d’âme, loup-garous assoiffés de sang… Nul doute cependant que la victoire de leur camp aurait certainement entraîné une forme de nuit des longs couteaux. Ils auraient certainement été éliminés, comme les Sturmabteilungen (sections d’assaut)de Rohm, devenus gênants pour les factions aristocratiques.

L’apparence du mouvement a joué un rôle important dans son pouvoir de séduction. Les aristocrates y trouvaient également une manière de pouvoir exorciser la peur de l’affaiblissement, du mélange, de l’effacement génétique tel que décrit par Houston Chamberlain. Ils sont également une manière pour des demi-sorciers, comme Voldemort lui-même ou Severus Snape / Rogue, de montrer leur attachement à un monde aristocratique. J. K. Rowling dit d’ailleurs de lui : « […] Comme beaucoup de personnes faibles et vulnérables […], il est devenu membre de quelque chose de grand, de puissant et d’impressionnant […] il était tellement aveuglé par la magie noire qu’il pensait que Lily trouverait impressionnant qu’il devienne un Mangemort6 »

Au sein de cette coalition, qui a vocation à offrir à la fois des on retrouve exactement le même clivage qu’au sein du NSDAP durant la guerre. Il y a d’un part les réalistes et les pragmatiques, incarnés par Alfred Rosenberg, ministre du Reich pour les territoires occupés de l’Est, mais aussi par le clan Malefoy. Il est régulièrement accusé d’un manque de fiabilité par ses détracteurs, mais ce manque de fiabilité est en réalité celui d’une loyauté qui dépasse la politique : elle est accordé aux intérêts propres, économiques et humains, de son clan. C’est ce qui explique son détachement progressif : il est effrayé par la montée en puissance de l’autre partie de l’alliance.

Les zélotes et autres SS de la faction de Voldemort sont notamment organisés autour de Beatrix Lestrange7. Les difficultés de leur coalition, face à la résistance inattendue d’enfants, provoque une radicalisation cumulative similaire à celle qu’ont connu les nazis dans les pays de l’Est. Cette radicalisation cumulative tant à détourner la coalition d’un conflit court et profitable et à l’orienter vers une guerre d’extermination et une dictature terroriste. Cela se voit notamment dans l’attaques contre les modus de Londres8, qui est une transgression complète du consensus. Cela devient dérangeant pour les intérêts aristocratiques. Ceux-ci recherchent deux choses :

  1. Des populations a exploiter de la manière la plus optimales possible. Pour la plus grande partie de la communauté des sorciers, le consensus l’incarnait parfaitement. Ceux qui ont les dents les plus longues le trouvaient trop étriqués, certainement aussi du fait de la disparition de la rente foncière comme source de revenus principaux. Entre 1689 et 2000, le capitalisme financier est passé par là.
  2. Des cloisonnements juridiques qui permettent de séparer les surexploités des autres et de créer une législation avantageuse. Elle permet aussi de doter une masse critique de droits et de privilèges (d’où le anti-impérialisme) permettant d’acheter leur soutien. Le chaos provoqué par la fin de la séparation entre monde signifiait aussi qu’une nouvelle législation devait naître. Il est fort possible que, comme pour le nazisme, elle soit basée sur le tradition orale et le droit germanique. Il offre des marges de manœuvre colossales pour la classe dominante, plus que sur le droit romain, écrit, figé, ne correspondant pas à « la vie réelle » pour les nazis.9

Cette question du droit est tout à fait significative. Elle pose un dilemme : le droit germain est supposé être celui de la Volksgemeinschaft, c’est à dire de la communauté du peuple. Dans le cas suivant, ce serait de la Magiergemeinschaft, la communauté des sorciers. Mais ce droit suppose donc une forme de « socialisme national » qui abolirait les clivages de classe. En plaçant la question du jugement sous la forme d’une question de « bon sens populaire », le sorciers les plus riches et les plus réactionnaires mettent en péril leur supériorité par rapport aux autres.

D’autant que Voldemort, comme Hitler, ne semble guère préoccupé par le fait de gouverner. Il semble accaparé par la question du conflit. Il est probable que la victoire des mangemorts ne débouche pas sur une société totalitaire réglée comme du papier à musique, mais bien comme un Béhémoth au sens de l’analyse qu’a porté Franz Neumann sur le IIIe Reich, c’est à dire un système de chaos dans lequel Voldemort sert uniquement d’arbitre. Une nouvelle fois, ça n’est pas très bon pour le marché. Cela contribue à fragiliser l’alliance mangemort, laquelle s’effondre dès la fin de son chef.

La restauration du consensus.

Dans la première édition du conflit comme dans la deuxième, il existe des possibilités de réhabilitation. A la suite de la première tentative, une grande partie des partisans de Voldemort ont fait amende honorable. Ils ont déclaré qu’ils avaient été abusés (magiquement) et qu’ils renouvelaient leur allégeance au consensus général. Dans l’ensemble, cela évoque la dénazification express en République Fédérale Allemande : les fonctionnaires retrouvent leur postes, les riches leurs capitaux, et l’amnésie générale tombe sur la société. La cas de Snape / Rogue est à ce titre illustratif, il bénéficie d’un pardon appuyé de la part de Dumbledore, qui n’hésite pas à se porter garant pour lui. Ayant (par amour, toxique au demeurant) regagné le consensus général, il est pardonné. Pourtant il conserve son idéologie et sa vision du monde.

Dans le deuxième cas, on voit s’exprimer dans les rapports entre Harry Potter et son antagoniste scolaire Drago Malefoy une fraternité d’anciens combattants. Elle semble bâtie sur un dépassement du conflit, absoute par l’allégeance renouvelée au consensus. Cette capacité de résilience de la société des sorciers montre aussi que les clivages, même s’ils ont été brutaux, ne restent pas si antagoniques que cela.

Dans leurs fonctions post-romans, les héros s’incluent majoritairement dans l’appareil d’État. Ils y promeuvent une politique de vigilance contre la transgression (Harry Potter), mais aussi de promotion d’une évolution sociétale (Hermione) qui laisse supposer une modernisation progressive et progressiste. Le plus grand bouleversement serait la progressive intégration des Elfes de l’esclavage au salariat. Cependant, cette modernisation ne remet jamais en cause le système neurovégétatif du monde : la « tonte des coupons » moldus.

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Les fonctions supposées des personnages centraux après leurs études : police et bureaucratie dominent. (Source)

Ce maintien du consensus général a un écho d’ailleurs particulièrement ironique dans notre monde : Ainsi, l’interprète de Hermione Granger, Emma Watson, est devenue une des grandes figure de la cause des femmes dans le monde. Et c’est quelque chose de positif. Mais cela ne l’empêche pas non plus d’être mêlée à des questions qui concernent des intérêts plus matériels. Ainsi, elle est mentionnée dans la liste des Panama Papers10, un scandale d’évasion fiscale et d’utilisation de comptes offshores. Elle est également membre conseil d’administration du groupe français de luxe Kering, lequel possède ainsi Gucci, Yves Saint-Laurent ou Boucheron.

Si nous qui militons pour un monde plus juste, habitions dans celui-ci, nous aurions une tâche ardue : celle d’un Parti Communiste de Suisse ou du Luxembourg. Cependant, les inégalités, les mécontentements et l’existence d’outsiders sans droits laisse supposer que tout n’est pas rose et qu’il existerait des possibilités de rallier. Mais la tâche centrale serait de réaliser un éclatement progressiste du grand consensus : c’est à dire l’inclusion de la magie comme moyen de répondre aux problèmes de l’humanité dans son ensemble et de la planète dans sa totalité. Cela nous heurterait certainement à l’ensemble de l’appareil d’État, qui est puissant, bureaucratique et policier. Nul doute que ce serait une tâche ardue, mais vitale.

Pour conclure.

Pour clôturer, il nous faut rappeler certaines choses importantes.

Le fait d’analyser ce monde ainsi n’équivaut pas à une condamnation de cet univers fictif, si tant est que cela ait un sens. Il est logique qu’un monde basé sur le merveilleux et offrant un univers héroïque escamote certaines questions, comme celle de la misère et de l’exploitation. Le but de Harry Potter n’est pas d’être Zola. Il n’y a pas lieu de dénigrer un univers qui apporte à beaucoup un échappatoire par rapport à une réalité qui, en particulier pour la tranche d’âge du public ciblé, n’est pas toujours rose. De plus, en comme l’avait souligné même le gouvernement Nord Coréen, les valeurs transmises par les personnages principaux sont positives : courage, solidarité, tolérance. Les prises de position contestable de la créatrice de l’univers ne doivent pas non plus empêcher une appropriation de l’univers par ses lecteurs et lectrices.

Bien qu’étant au sein d’une utopie sociale-impérialiste, Harry Potter n’en fait pas particulièrement la promotion comme étant un système positif. Les personnages principaux, en particulier les nouveaux arrivés dans l’univers (Harry, Hermione) ne comprennent pas les traditions et les coutumes, et sont choqués par certaines d’entre-elles. Si le consensus général n’est pas attaqué, ses abus et ses transgressions le sont. La laideur psychologique se combine d’ailleurs régulièrement à la laideur physique, condamnation manichéenne aisée et pratique au demeurant.

D’autres œuvres, en revanche, sont clairement des apologies d’un système réactionnaire : pour comprendre le soft power et la capacité d’attractivité d’un pouvoir fasciste, la lecture de Étoiles, garde-à-vous ! est une bonne entrée en matière. Dans cet univers, le militarisme et le fascisme sont érigés non-ironiquement comme pinacle des valeurs. Paul Verhoeven en a d’ailleurs fait une excellente adaptation critique, dans Starship Troopers, qui, contrairement à d’autres films qui esthétisent la violence ou le fascisme, le montre dans toute son absurdité. D’autres univers sont particulièrement intéressants à aborder : celui de Star Wars, notamment par rapport à la question de la mémoire et de l’histoire, plusieurs théories démontrant que l’absence de médias et de littérature dans cet univers11. Nous pourrions traiter ainsi du fait que l’affrontement entre les vaisseaux impériaux et rebelles illustre aussi le clivage entre une marine impériale anglaise (avec la primauté de navires lourds) face à une flotte rebelle américaine (avec la primauté du couple porte-avion et appareil individuel). Mais cela nous éloignerait de notre but principal qui n’est pas seulement de décrire, mais aussi d’analyser l’intérêt pour notre compréhension de l’actualité.

Cependant, cette analyse permet d’utiliser le microcosme sorcier pour représenter une réalité concrète : la notre, celle des pays impérialistes. Celle de pays dans lesquels des formes de libertés démocratiques sont permises par l’existence d’un consensus général sur la surexploitation des autres, par des surprofits redistribués par le welfare state… et dans lequel une anesthésie générale de la société existe. Le cadre confortable du débat bourgeois et de l’affrontement ritualisé fait d’une grande partie de la politique et du militantisme quelque chose qui s’insère, comme Harry Potter, dans un Theatrum mundi, le grand théâtre du monde. En sortir, sortir de la scène et retrouver la marche de l’histoire, est la lutte de notre période.

1Il existe un débat sur le rôle de Dumbledore qui mérite d’être retranscrit ici : selon les « historiographies » présentes dans la saga, soit celui-ci était exactement sur la même position que Grindelwald, soit il en avait une compréhension « progressiste », au sens de mettre le monde des sorciers au service des moldus. Personnellement, je trouve que la première explication est la plus crédible, mais aussi la plus intéressante, puisqu’elle donne une profondeur plus grande à un personnage qui, sinon, se limiterait presque à un vieillard bonhomme et sans tâches.

2Mouvement « populaire raciste » promouvant la supériorité de la germanité (et par extension aussi des anglais) sur le reste des autres peuples.

3« Alors que Grindelwald est à son apogée, le monde de la sorcellerie demande d’une voix unanime de l’aide à Albus Dumbledore en 1945. »

4« En 1998, Voldemort est à la recherche de la baguette de Sureau et arrive à retrouver Gregorovitch. Il parvient à lire dans son esprit avant de le tuer et revoit la scène du vol de la baguette. Ignorant l’identité du voleur, il n’arrive pas à poursuivre la piste. »

5La première est plus difficile a cerner, elle est peut-être une forme de fronde des princes.

6https://www.gazette-du-sorcier.com/j-k-rowling/declarations-et-entretiens/chat-de-j-k-rowling-la-traduction-revelations

7Qui, pour autant, place son argent chez les Gobelins.

8« Après avoir déclaré ouvertement la guerre à la communauté magique, il envoie ses Mangemorts attaquer Londres, causant des dizaines de morts du côté des Moldus. »

9La question du droit est passionnante et est au centre des travaux de Johann Chapoutot et de Ian Kershaw. Notamment Chapoutot, J. (2014). La loi du sang : Penser et agir en nazi. Gallimard.

10https://www.lefigaro.fr/cinema/2016/05/11/03002-20160511ARTFIG00156-emma-watson-citee-dans-les-panama-papers.php

11https://www.tor.com/2012/10/03/most-citizens-of-the-star-wars-galaxy-are-probably-totally-illiterate/

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