Le plan de la bourgeoisie. – La loi travail ; l’éducation ; l’Etat d’urgence…- Partie III – La fin du CDI

Les funérailles du contrat de travail.

 

L’accord d’entreprise au dessus de la loi et du contrat de travail

Pour accompagner cette mesure qui fragilise d’ores et déjà les accords de branche, le patronat, par le truchement de ses exécutants, se dote d’un second couteau. Les ordonnances tendent à mettre en place une présomption de conformité sur les accords signés en entreprise par rapport à la loi. Cela signifie donc que, jusqu’à preuve du contraire, les accords décidés “démocratiquement” au sein de l’entreprise sont juridiquement valables, même lorsque leurs décisions sont contraires à la loi. En somme, cela leur confère une puissance terrible, puisque tant qu’il n’existe pas de désaccord majeur, la loi est shuntée et l’accord prend sa place.

Il s’agit d’une mesure particulièrement retorse.  Elle permet en pratique, de faire tout ce que le patron peut désirer.

Elle entraîne de facto une rupture dans la nature même du CDI. Cela permet de pouvoir obtenir des modifications de temps de travail, des modifications de normes de travail, mais également de créer des facilités pour abaisser les salaires et licencier avec une aisance totale.

L’accord prime également sur le contrat de travail. Cela signifie qu’il est tout à fait possible de faire mettre en place des dispositions désavantageuses ne figurant pas dans, ou étant contradictoires avec le contrat. Quelque soit la négociation faite en amont, au cours de l’entretien d’embauche, elle n’aura pas de valeur et ne formera pas une protection pour le ou la salariée. Le désaccord se traduit d’une manière claire et nette : le salarié peut être licencié s’il refuse de s’y soumettre.

Par ailleurs, un principe général de primauté de l’accord d’entreprise sur le contrat de travail est prévu. Jusqu’à aujourd’hui, on ne pouvait se voir imposer un accord moins favorable que le contrat de travail. Avec les ordonnances, toutes les mesures négociées par accord d’entreprise (via des chantages à l’emploi ou aux salaires) s’imposeront aux salariés, même à ceux qui auront négocié des mesures plus favorables sur leur contrat. En cas de désaccord, c’est un licenciement à la clef.

Le recours au référendum, comment casser les syndicats sous prétexte de démocratie.

Un des points les plus ingénieux de cette réforme est de changer la manière de négocier les choses au sein de l’entreprise. Le terme ‘démocratie’ est un terme plus que positivement connoté. Il évoque la liberté d’expression, la liberté d’opinion, la liberté d’action. Pourtant, dans les faits, la démocratie est un couteau à double tranchants. La démocratie des uns n’est pas celle des autres.

Le tour de force du patronat est de tenter de faire passer les syndicats, outils de défense des travailleurs, pour des freins à la démocratie, pour les cliques de passéistes. Pour shunter les syndicats, pour réussir une manœuvre en débordement, les capitalistes optent pour une méthode fascinante : “l’expression populaire .”

Depuis les années 80-90, des accords dérogatoires aux accords de branches sont proposés par le patronat. Ces accords ne sont pas des cadeaux, mais sont défavorables, de manière croissante, aux salariés. D’une manière générale, les syndicats majoritaires, lorsqu’ils font leur travail correctement, s’opposent  à l’idée de signer ces accords. Pour le patron, cette situation de blocage est intolérable, inacceptable.

Avec la loi travail première génération, deux mesures sont mises en œuvre: la représentativité n’est plus systématique et devient au prorata de la participation aux élections du CE d’entreprise. En second lieu, le renforcement du caractère majoritaire des accords. Ainsi, la loi travail prévoit que pour être valable, un accord doit être signé par un ou plusieurs syndicats ayant obtenu au moins 50% des voix au premier tour des élections du CE. Si les syndicats majoritaires refusent l’accord, il peut être fait appel au référendum d’entreprise pour faire passer celui-ci.

Avec la nouvelle mouture, Macron, la procédure est encore plus simple, le référendum peut être pris à la simple initiative de l’employeur, permettant de passer au dessus de la représentativité des syndicats, de les écarter du processus.

Les votes au sein des entreprises sont loin d’être une belle démocratie, pure et parfaite. Généralement la question est posée d’une manière alambiquée, des pressions et un chantage à l’emploi sont exercés…etc. Ainsi s’exerce la démocratie patronale, par le vote truqué et la lutte pied à pied contre les organisations de défense des travailleurs et de des travailleuses.

Autant de méthodes qui permettent, par la pression, d’extorquer, d’arracher, d’obtenir tout ce qu’ils et elles veulent de leurs travailleurs, en employant un camoufflage démocratique.

Une manœuvre redoutable, mais qui n’est qu’une mise en bouche d’un autre pan de la bataille : l’anéantissement complet du CDI.

Frapper le CDI.

Dans le fond, le contrat de travail est l’objectif stratégique du gouvernement.

A la base, l’argument des libéraux et des liquidateurs est le suivant : le code du travail est une horreur complexe, trop lourde à gérer, entravant le fonctionnement de la libre-entreprise, instillant un poison mortel dans l’économie. En somme, il faudrait le liquider pour que les entreprises puissent avancer économiquement, devenir plus fortes et apporter de meilleurs services.

Si peut-être certains naïfs et certaines naïves sont réellement et sincèrement convaincus par ces arguments, la réalité montre un visage nettement moins souriant. Le patronat, qui considère l’employé comme une marchandise et une force de travail, ne voit en lui qu’un moyen de produire de la plus-value. Le contrat l’étouffe, dans sa quête sans fin du profit. Au regard du patron, il est l’ennemi n°1. Aujourd’hui en position de force, sans commune mesure, il lui livre une offensive qui se mue en bataille d’anéantissement.

Il existe deux types d’attaques contre le CDI. Elles sont d’une part la mise en place de dispositions permettant d’outrepasser les bornes définies par le contrat de travail, tel que la possibilité de licencier en payant une amende. Ce qui est présenté comme une sanction pour l’employeur devient une somme forfaitaire à régler à l’Etat pour licencier à volonté.

De l’autre part, elles sont constituées par la mise en œuvre de dispositions rendant négociables chacun des points du contrat. Nikita Khrouchtchev, dans une des rares citations passées à la postérité, parlait ainsi de la négociation: “Ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est négociable.” Si nous n’avons guère de sympathie pour ce fossoyeur du socialisme en URSS, cela n’empêche que cette phrase est d’une véracité sans limites.

Les modifications du CDI sont importantes : la première est liée à la période d’essai. Celle-ci ne pouvait excéder légalement 2 mois pour un employé, 3 pour un ingénieur, 4 pour un cadre, avec une possibilité de renouvellement si celle-ci existait dans la convention collective. Aujourd’hui, la période d’essai prend des proportions immenses, étant devenue négociable intégralement dans le cadre défini par le droit international du travail, soit 12 mois.

12 mois de période d’essai, cela signifie un purgatoire interminable, en permanence sous la crainte d’un avis de renvoi, d’une fin de contrat. En somme, il s’agit d’un siège éjectable constant, ou d’un travail avec le revolver sur la tempe.

Le second élément est le préavis. Il était de 1 mois pour 6 mois d’ancienneté, 2 mois à partir de deux ans. L’employeur ne pouvait se débarrasser de son employé du jour au lendemain, offrant une marge de manœuvre limitée mais existante pour permettre d’anticiper la perte de rémunération. Les seules dérogations concernaient les fautes graves.

La loi désirée par le patronat abolit ce préavis et peut permettre, si les accords d’entreprise le valident, de mettre à la porte un employé du jour au lendemain, avec une perte immédiate de toute rémunération.

Le troisième élément sont les congés familiaux, notamment le cas scandaleux de la suppression du congé accordé dans une situation de décès d’un enfant. Cette suppression  avait été abandonnée dans la loi El-Khomri. Elle fait son retour discret, malgré le caractère impitoyable et cynique de cette suppression.  Ainsi, le congé devient d’une durée soumise à la négociation.

 Les indemnités de licenciement étaient auparavant garanties par un plancher correspondant à 1/5ème de mois par année, accompagnées par 2/15ème au delà de dix ans d’ancienneté. Ces aspects seront, comme les autres, soumis à négociation. Il s’agit d’une manière d’ôter les barrages qui pourraient nuire à la mise en place d’un licenciement.

Ces licenciement eux-mêmes peuvent être faits sur la base de motifs définis par la pseudo-négociation. Ainsi, à l’heure actuelle, les juges contrôlent la légitimité du licenciement, pour s’assurer qu’il soit bien conforme au code du travail. Désormais, si l’entreprise décide que plusieurs retards induisent un renvoi, le juge ne pourra qu’accepter la situation et valider celui-ci.

Normaliser le CDD et développer un contrat unique.

En théorie, le CDI constitue une norme pour l’emploi. Il est le contrat de travail type, les autres ne devant être réservés qu’à des situations spécifiques et exceptionnelles. Dans la pratique, déjà, le patronat ne s’encombre par particulièrement de scrupules à ce sujet.

Le CDD n’a pourtant un caractère légitime, au regard du droit du travail, que dans les cas suivants :

·                  Combler l’absence d’un salarié (maladie, congés…)

·                  Faire face à un surcroît d’activité.

·                  Fournir un contrat saisonnier pour des employés de secteurs n’ayant pas une activité régulière : agriculture ; tourisme ; restauration et hôtellerie.

·                  Pour limiter les emplois en CDD et encourager celui en CDI, celui-ci est encadré par une série de règles :

·                  parce qu’une clause du contrat le prévoit,

·                  parce qu’un avenant est proposé au salarié avant l’échéance de son contrat.

·                  18 mois dans la plupart des cas, ou 9 mois lorsque le contrat est conclu dans l’attente de l’arrivée d’un salarié recruté en CDI, ou 24 mois si le contrat est exécuté à l’étranger, s’il est conclu dans le cadre du départ définitif d’un salarié avant la suppression de son poste ou en cas d’accroissement exceptionnel d’activité.

 

·                  Existence d’un délai de carence, empêchant théoriquement l’employeur de faire cumuler CDD sur CDD à l’employé. A noter que cette disposition se retourne parfois contre ce dernier, qui se retrouve sans le sou durant la période de carence, avant de repartir pour un nouveau contrat précaire.

·                  Lorsque le contrat se poursuit après l’échéance du terme du CDD, il se transforme automatiquement en CDI et le salarié conserve l’ancienneté acquise pendant son CDD.

La réforme qui se dessine souhaite remettre en cause ces règles, sachant qu’elles ne sont déjà que peu respectées, y compris au sein des entreprises et administrations publiques. La discussion se fera au niveau de l’entreprise, au travers de la conclusion d’accords collectifs pour assouplir ces règles. Cela permettra notamment d’élargir les cas de figure permettant de justifier le CDD.

Exemple illustratif : un employeur peut s’autoriser par accord d’entreprise à conclure un CDD « pour faire face aux besoins liés à l’organisation de l’entreprise », une formule qui n’est nullement encadrée juridiquement, mais qui est, au contraire, suffisamment vague pour permettre de s’adapter à tous les cas de figure. Poussé à l’extrême le même procédé, si l’employeur négocie l’extension du délai maximum du CDD, ou la suppression du délai de carence, la situation débouche sur le fait que le CDD devient une norme qui se substitue au CDI.

Pour les salariés, les conséquences sont les suivantes :

·         Précarisation de l’emploi : il n’est pas possible de savoir quand et combien de temps le travail peut durer.

·         Une précarité qui bloque la possibilité de défense et de contre-attaque au niveau des droits, la précarité devenant une norme.

·         Une difficulté de pouvoir se défendre contre les abus aux Prud’hommes, étant donné que les accords internes aux entreprises permettent quasiment tout.

Les employeurs ont également un rêve fou, sur le point de se concrétiser. Ce rêve est celui du recours au CDI de projet. Le CDI oldschool ne permet pas de faire varier la masse salariale suffisamment efficacement et donne un sentiment de sécurité préjudiciable à une exploitation accrue des travailleurs. Le CDD, par son caractère déterminé, est toujours trop rigide, car il ne permet pas de faire face aux aléas que peuvent rencontrer les entreprises. Le CDI de projet correspond à une adaptation d’un contrat auparavant réservé aux entreprises en BTP. Ce nouveau type de contrat revient, globalement, à faire de l’embauche à la tâche, sans précision de durée aucune, ce qui est une situation qui fut vivement combattue par le mouvement social, car cela entraînerait une précarité terrible.

Ce rêve permettrait de liquider le CDI et le CDD pour ne former plus qu’une seule situation unique : un contrat vague, décidé intégralement par le patron, permettant de disposer d’une main d’œuvre corvéable à merci. Le Saint Graal du patronat.

Les licenciements à la pelle.

Le licenciement pour motif économique, déjà réformé sous Hollande, est à nouveau dans le viseur. En plus de la question du délais de recours, déjà abordé, trois pistes sont reprises :

          augmenter les seuils d’effectifs pour rendre obligatoire le plan de sauvegarde de l’emploi ; aujourd’hui, à partir de plus de 10 licenciements sur 30 jours, l’employeur a l’obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi qu’il doit négocier en priorité, avec des mesures d’accompagnement des salariés licenciés dans leur reclassement. Macron veut alléger l’obligation en faisant en sorte d’alléger le plan de sauvegarde de l’emploi.

          le droit du licenciement pour motif économique est conditionné de l’obligation pour l’employeur de trouver une solution de reclassement pour le salarié. Avec la loi, plus d’obligation individuelle d’aide au reclassement, l’employeur ne serait obligé que de publier une série de propositions d’emplois, à charge de l’employé de trouver son bonheur.

          le motif économique de licenciement doit être apprécié nationalement au niveau du groupe sans tenir compte des moyens du groupe à l’étranger ; cela a été amorcé par la loi Macron, les grands groupes internationaux n’ont plus à assurer la pérennité de leurs filiales, lesquelles peuvent être fermées, même si le groupe prospère.

Tous ces aspects offrent, au final, un pouvoir titanesque aux patrons, aux exploiteurs. Cela leur permet d’agir comme bon leur semble avec leurs employés.

Mais comme la bourgeoisie est particulièrement généreuse avec elle-même, elle double cette offensive d’une seconde, plus discrète, rendant toute défense des travailleurs impossible.

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