Le grand débat : l’effet levier de la réaction. (I)

Partie I

Le Grand Débat est terminé. Les conclusions de celui-ci vont être rendues dans les jours prochains. Après près de 80 jours de réunions publiques -ou de shows de stand up selon les points de vue, de collecte de questionnaires et d’envois libres, les résultats vont être annoncés.

L’Etat a tenté de présenter cet exercice comme étant le nec plus ultra de la démocratie délibérative, capable de pouvoir aplanir tous les maux, toutes les contradictions au sein de la population. L’idée finale étant de « restaurer l’unité de la nation », alors que le conflit social et politique n’a jamais été aussi profond. Mais, loin de satisfaire, ce Grand Débat a échoué dans son objectif affiché de calmer la situation. 

79 % des Français, selon l’institut de sondage ELABE, considèrent que le grand débat n’a pas convaincu. « Pour 79% des Français, le « grand débat national » ne résoudra pas la crise politique que traverse le pays (+9 points par rapport au mois de mars), 68% que les points de vue exprimés lors de celui-ci ne seront pas pris en compte (+5 points) et 62% que le « grand débat national » permettra d’améliorer la participation des citoyens aux décisions (+7 points).»

Il ne s’agit donc pas d’un succès de ce point de vue là pour Emmanuel Macron et pour la classe sociale qu’il sert. Cependant, sans être une sortie de crise, le Grand Débat contribue à agir négativement contre les luttes. Miroir aux alouettes dans lequel certains ont pu être pris, procédé décourageant, méthode dilatoire… Le Grand Débat s’est surtout voué à occuper le terrain mental et moral, et à tenter de remettre entre les mains du pouvoir et de la grande bourgeoisie monopoliste les leviers de l’expression. Ces « débats » accaparent la légitimité, dans le but de la dénier aux Assemblées Populaires, dont la fédération progresse.

Il s’agit d’une des branches de la tenaille contre les mouvements sociaux, l’autre étant constituée de la répression policière, judiciaire, des injures constantes lancées par les tribuns de la presse bourgeoise et réactionnaire, à laquelle s’adjoint, sans s’en rendre parfois compte, des liquidateurs qui pensent qu’il faut solder le mouvement au profit de leur clique, leur groupe, leur organisation.

Le Grand Débat n’échoue pas, finalement, par son contenu, mais dès sa conception, il a été architecturé comme une manœuvre devant permettre que LREM puisse faire sa publicité pour les élections européennes -autour de leur campagne réactionnaire-catastrophiste nommée « renaissance »- mais également de faire un effet levier pour légitimer leur action politique.

Sa méthodologie a été conçue uniquement dans ce but, en employant une interprétation de la démocratie, étriquée et tronquée, pour écraser celle qui est réelle et concrète : la démocratie populaire.
L’utilisation de la « démocratie délibérative » correspond à cet objectif. Cette pseudo-démocratie consiste dans le fait de soumettre des questions à un auditoire, sans préparation ni discussion sur le contenu, et de noter à la volée leurs réactions pour en faire, sans contrôle, une synthèse. 
Dans le cas du Grand Débat, des votes ont été faits sur l’importance de certaines thématiques imposées. En l’occurrence, les questions étaient déjà orientées pour faire émerger les réponses. Mais, en sus, la manière d’interpréter les résultats est largement soumise à caution. 
Dans des questionnements à choix multiples, 10 % d’individus trouvant qu’un sujet et important peuvent permettre de justifier que celui-ci soit retenu. En revanche, 49,99% s’opposant à quelque chose ne représentent pas la majorité. D’une manière générale, ce procédé ouvre la porte à toutes les manipulations. 

Dans ce genre de débats, qui détermine ce qui est écarté ou ce qui est retenu ? En théorie, un arbitre neutre. Dans les faits, l’arbitre neutre, ici, est précisément l’organisation mise en place par la bourgeoisie pour exécuter ses ordres : l’Etat.
Le bourreau premier des classes populaires serait donc le garant d’une expression de celles-ci ? 

Le contenu du Grand Débat : 

Le contenu du Grand Débat a été dicté en amont par les stratèges de LREM dans l’unique but de fournir un soutien à leur politique, voir même de pouvoir appuyer des percées plus profonde dans la mise au pas du pays.
Le choix de cette carte de la démocratie n’a donc comme buts que de tenter, d’une part, de ressouder un pays divisé profondément par le caractère aigu de la lutte des classes actuelle, mais également de faire un effet levier pour appuyer sa transformation dans le cadre des choix stratégiques de la grande bourgeoisie.

Au sein des Grand Débat, plusieurs sujets ont été abordés, dont certains particulièrement candides et naïfs. La question de l’écologie, par exemple, fait partie de celles qui ne sont payées -au mieux- que de mots. Le gouvernement à ainsi déclaré : « C’est un très grand défi que nous adressent les Français, avec de très grandes attentes et de très grandes exigences, il nous appartiendra d’être à la hauteur de ces attentes. » Le journal 20 minutes avait résumé ça dans sa Une, pleine de saveur : « Grand débat : Le teasing sans annonce d’Edouard Philippe, tout un art. » Nous ne saurions leur donner tort. Edouard Philippe a prévenu qu’Emmanuel Macron fera des annonces « puissantes et concrètes ». De quoi trembler d’avance.

Des propositions sur la «vie publique moralisée » sont également de celles qui se paient de mots. « Lutter contre l’action des lobbies » est typique. La démocratie bourgeoise n’est pas une démocratie malade de l’action des lobbies. Elle est une dictature, au travers d’une interface plus ou moins démocratique, de la grande bourgeoisie monopoliste. Les lobbies ne sont que, in fine, des remous de surface et une expression de contradiction entre différentes cliques de bourgeois. Mais dans les faits, le système politique est déjà dans sa nature profonde un outil de la domination sociale. « Lutter contre l’action des lobbies. » est de ces genres de propositions qui n’ont aucun fondement.
« Rendre obligatoire un casier judiciaire vierge pour être élu. » Le système démocratique bourgeois organise la corruption, organise le népotisme, organise l’apparition de chefferies. Dans les faits, au lieu de condamnations symboliques, ces élus ne seront juste, simplement, plus condamnés. 
« Organiser des débats citoyens ». Un débat est une chose positive. Mais les débats citoyens ont surtout démontré qu’ils étaient creux et vides. Ils ne servent que de moyen de faire diversion.

En dernière analyse, les propositions sonnent creux, sauf celles qui facilitent le travail de sape des droits sociaux. Là, elles sont prises au sérieux. Et, là encore la méthode interpelle.

Il existe un art de l’ambiguïté dans le fait d’interroger les inquiétudes populaires. Cet art de l’ambiguïté permet de partir de cette inquiétude légitime, mais d’en tirer des conséquences complètement contradictoires.
Macron a érigé cet art sous la forme d’un credo, le fameux « en même temps ». 

Ainsi, le Parisien le résume ainsi : 

Lors du grand meeting du 17 avril 2017 à Paris-Bercy, il s’amusait de sa formule, retournant à son avantage ce qui est d’ordinaire considéré comme une faiblesse linguistique. « Excusez-moi, vous avez dû le noter, j’ai dit en même temps. Il paraît les amis que c’est un tic de langage », lançait le futur chef d’État alors que les militants se mettaient à scander cette rhétorique macronienne. Et, dans une promesse de campagne (qui sera respectée) d’annoncer : « Je continuerai de le dire dans mes phrases et dans ma pensée, car ça signifie que l’on prend en compte des principes qui paraissaient opposés. »1

Cette conception est résumée par Michel Séac’h : « les « en même temps » du président renvoient à « une résolution des contradictions » et « seraient représentatifs d’un mode de gouvernement ». « Ils font le lien entre la thèse et l’antithèse, c’est une sorte de synthèse ».

Une synthèse à l’exclusif avantage de la classe sociale pour laquelle œuvre Macron. Ainsi, Edouard Philippe notait que l’inquiétude quant aux menaces sur le niveau de vie des travailleurs et des travailleuses devait se traduire par un « choc fiscal » de baisse des dépenses immédiates et de liquidation des taxes et impôts. 
Donc, derrière cela, un coup d’accélérateur à la campagne de liquidation des services publics et à la privatisation de tout ce qui peut être considéré comme un « poste dépensier ». Nous rappellerons que le projet de LREM va jusqu’à envisager la privatisation de certaines routes nationales. 

« En même temps », cette interprétation des résultats permet aussi de justifier que les « dépenses sociales » soient placées sous l’angle de la responsabilisation. Voici ce qui en est retenu : 

« Pour financer les dépenses sociales, 52% des participants estiment qu’il faut instaurer des contreparties aux différentes allocations de solidarité, augmenter le temps de travail (24%) et reculer l’âge de départ à la retraite (22%). Pour réduire le déficit, il faudrait réduire la dépense publique, estiment 75% des répondants, et notamment les dépenses de l’Etat (56%). »

Toute ressemblance avec le programme réactionnaire de LREM ne serait qu’une amusante coïncidence. Donc, en partant d’une réelle et cruciale demande, Emmanuel Macron provoque une aggravation de la situation sociale et prépare le terrain à une nouvelle offensive contre la retraite, contre les salaires, contre les minimas sociaux. Mais, il pourra prétexter qu’elle est adoubée par les masses populaires. 

Nous avons mentionné à plusieurs reprise le sens sournois de cette responsabilisation. Face à la détresse de ceux qui n’ont rien, le pouvoir bourgeois répond en aggravant encore leur situation.

Et, derrière cela, se niche également une réforme parlementaire d’ampleur : Un possible passage vers un système à la proportionnelle et une réduction du nombre de parlementaires.

Pourquoi un tel choix ?

1http://www.leparisien.fr/societe/tics-de-langage-en-meme-temps-le-peche-mignon-de-macron-21-04-2018-7676160.php

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *