2022, Cap Catastrophe – Partie 1

2022, Cap Catastrophe

Partie 1

E.Vertuis

Nous avons temporairement mis en poste notre travail sur le discours de Versailles de Macron pour pouvoir évoquer le plus rapidement possible cette question centrale, celle de Cap 2022. Nos publications reprendrons dès que cette analyse sera terminée. 

Malgré leur prétention constante à se dire « émanation de la volonté du peuple », les gouvernements bourgeois jouent régulièrement la carte du secret sur leurs projets. Diplomatie secrètes, accords sous la manche, raison d’État…. mais également réformes.

Le gouvernement actuel possède une véritable obsession du secret. Le contenu des réformes sur la fiscalité, sur les caisses de cotisation ou sur le code du travail ont été maintenu le plus longtemps possible dans le silence et le flou. Rien d’étonnant en cela, tant ces projets de lois étaient des frappes nucléaires contre les droits sociaux. Heureusement des individus courageux les ont fait fuiter.

Dans le cas du projet Cap 2022, la fuite, organisée par un militant de Solidaire, a plongé le gouvernement dans l’ire la plus totale. Le fait que les journaux aient publié ce dossier important (152 pages) n’a rien fait pour calmer cette colère. Cette obsession de l’omerta et cette colère ne peuvent que susciter la curiosité et l’intérêt le plus vif de la part des organisations de défense des intérêts des masses.

Que contient donc ce rapport explosif ?

Cap 2022 est le fruit d’un long processus. Il est l’aboutissement d’une trajectoire prise depuis le milieu des années 90 par les gouvernements successifs. Tout comme la loi Travail était la bataille centrale du code du travail, tout comme la réforme de la fiscalité était l’offensive générale contre les protections sociales, Cap 2022 est la bataille d’anéantissement sur une certain nombre de secteurs, donc l’éducation.

Rien de ce que contient ce rapport n’est neuf ou ne représente fondamentalement une rupture avec les lignes précédentes, y compris celles défendues par la prétendue « gauche » capitularde et traîtresse. Pour un grand nombre d’aspects, ce sont des projets qui étaient déjà dans les cartons, sous la même forme, il y a 15 ans, notamment celle de l’autonomie des lycées.

Contrairement à ce que prétendent les défaitistes, le fait que ces projets n’aient pas été appliqués immédiatement est l’illustration de la capacité de résistance que procurent les mobilisations, les manifestations et les grèves. Contrairement à la rumeur, elles « servent ».

Le ton du rapport est typique de celui des attaques perfides. Les rédacteurs prétendent se placer du côté des masses populaires, affirment que tout est fait pour améliorer le fonctionnement de la société, pour la rendre plus juste, plus proche des attentes de ceux qui souffrent de l’exploitation ou de l’exclusion sociale. Tout est donc ampoulé, édulcoré, présenté sous le jour le plus favorable. La bourgeoisie est très forte à ce jeu. Mais le maquillage de la réalité ne peut empêcher celle-ci de transparaître. En lisant entre les lignes, il est possible de comprendre quel projet scélérat se prépare, quelle conspiration contre les intérêts populaires se trame, contre les intérêts des prolétaires, des ouvriers et des ouvrières, des employés et employés, mais également de la jeunesse et des exclus sociaux.

Dès l’introduction, les rédacteurs et les rédactrices jettent les masques. Ils et elles annoncent que « plutôt que de chercher l’exhaustivité, [Ils et elles ont] pris le parti d’identifier les principaux verrous qui freinent la transformation publique .» Louable intention, mais transformer vers quoi ? C’est là que le bât blesse.

« Nous militons pour un modèle d’administration où les managers seront plus autonomes et plus libres de prendre des décisions, les agents véritablement forces de proposition, un service public qui utilisera pleinement toute l’opportunité que représente le numérique tout en restant proche des usagers, sur le terrain, à leur écoute. » En somme, il s’agit d’accroître les pouvoirs des chefaillons et des gardes-chiourmes pour rationaliser le service, pour accroître sa rentabilité. Le numérique n’est qu’un prétexte qui sert à supprimer des postes pour réduire la « masse salariale. » Plus loin, l’introduction insiste : « Un service public accessible et plus personnalisé. Par exemple, les Français veulent plus de dématérialisation des démarches administratives, notamment les plus jeunes. » Les « français » veulent quelque chose qui permet de réduire les postes ? Bonne nouvelle !

« Nous encourageons un modèle dans lequel l’innovation, la prise de risque seront valorisés, encouragés, soutenus »

Que signifie « prise de risque » dans le cadre des services publics ? Quel sens cela peut-il avoir ? Comment un service public peut-il « prendre des risques » ? Tenter de faire circuler plus de trains ? Cela ne peut être compris que comme un déclenchement d’initiatives visant à rationaliser à outrance, à pratiquer un stakhanovisme à l’envers, d’améliorer la productivité pour accroître la charge de travail sur un nombre de fonctionnaires ou d’agents toujours plus réduits.

« Nous souhaitons redonner aux citoyens le pouvoir de connaître leurs services publics avec la transparence totale des résultats, le pouvoir de l’évaluer, le pouvoir de participer à sa conception et à sa production. Le secteur privé a également son rôle à jouer dans l’exécution du service public . »

Le benchmarking, continuellement applaudi par les grands penseurs de la science politique tels que Rosanvallon, qui le voient comme un système favorisant la démocratie interne, fait son chemin. Mais une nouvelle fois, les critères ou l’interprétation des résultats laisse craindre le pire. L’idée, une nouvelle fois, est celle de favoriser l’intervention du privé, qui trouve sa motivation principale dans le fait de tirer des bénéfices de son activité, donc, qui, dans l’esprit des concepteurs -bien éloigné de la réalité- devrait proposer des coûts bas et des résultats saisissants du fait de la concurrence.

Mais les lois de l’économie capitalistes ne vont pas dans ce sens. Dans les faits, chaque fois que des privatisations de ce type ont été opérées, elles ont débouché sur la création de marchés captifs, de marchés de monopoles. Autoroutes, rails, cantines scolaires, prisons… tout autant de cadeaux fait aux patrons et aux patronnes.

« Nous appelons à clarifier et simplifier les systèmes devenus trop complexes. Nos systèmes de santé, de protection sociale, de recouvrement social et fiscal, notre accompagnement des personnes en situation de handicap, notre justice, ne répondent plus correctement aux besoins des Français. Ils sont difficiles à adapter au monde qui change ; aux attentes qui évoluent, et de moins en moins lisibles pour les usagers. Nous proposons de les faire évoluer en plaçant l’usager au centre en personnalisant le service et en l’adaptant à chacun. »

Une nouvelle fois, la modernité est prise comme argument pour justifier le fait qu’il faille trancher dans le vif et simplifier des systèmes qui « ne marchent plus ». Ils ne marchent plus notamment du fait qu’ils aient été tranchés financièrement par le travail de sape orchestré par les divers gouvernements successifs. La gauche à par ailleurs fait office de pionnier dans le domaine, avec les lois sur le financement de la Sécurité Sociale.

« De même, en raison de ce poids des dépenses publiques, nous n’aurions pas les marges de manœuvre nécessaires pour répondre à une nouvelle crise économique. Par ailleurs, ce niveau de dépenses, qui se traduit par des taux de prélèvements obligatoires élevés, pèse sur l’économie et la compétitivité de la France. »

En somme, il nous est appris que si nous ne réduisons pas nos dépenses, nous ne pourrons pas renflouer les caisses des entreprises et les banques qui se sont effondrées du fait de leurs activités de spéculation. Nous devons donc, immédiatement, nous serrer la ceinture pour pourvoir nous assurer d’avoir la masse critique permettant de maintenir le taux de profit des actionnaires, des rentiers, des investisseurs, et éviter ainsi qu’une partie de la bourgeoisie soit mise en difficulté. La bourgeoisie, également, lorgne sur les marchés de l’assurance et de la santé depuis longtemps -et les médecines alternatives ou « douces » ne sont pas moins rapaces que les autres!- la suppression des cotisations sociales permet non seulement de réduire le salaire (de plus de 50 %!) mais également ouvre un nouveau marché colossal. Tout est bon, pour le bourgeois et la bourgeoise, dans la privatisation -sauf en temps de crise !

L’introduction donne le ton. A sa suite, une première partie intitulée « Nos convictions prend le relais ».

Cette partie est un monument dédiée à l’apologie de la libéralisation des services publics et à la liquidation des statuts de fonctionnaires. Elle est principalement remplie de creux et de vide, de tentatives plus ou moins pathétiques d’auto-justifier la politique menée, en allant jusqu’à prétendre qu’elle est réclamée par les agents eux-mêmes.

« Une forme d’épuisement peut par ailleurs s’exprimer, allant parfois jusqu’à des situations de souffrance. Les agents publics sont en effet soumis à des injonctions parfois paradoxales et pâtissent de devoir eux-mêmes faire des choix sur la priorisation de leurs activités. » « C’est pourquoi ils perçoivent le besoin de changement et de transformation du service public. »

Ergo, si vous souffrez au travail, c’est que vous êtes en faveur de la liquidation de votre service.

Une transformation annoncée comme radicale est proposée : « Reconnaître que les usagers et les territoires ont des besoins différents, auxquels il faut répondre de manière différenciée, est ainsi un enjeu d’équité. Pour cela, il faut construire le service public autour de l’usager final et de ses besoins et non plus en fonction de la manière dont l’administration est organisée. »

En somme, il s’agit, sous une prétention d’égaliser, d’entamer une rupture de la prétendue « Egalité Républicaine » et d’officialiser l’inégalité. L’intention d’un traitement basé sur l’équité plus que l’égalité formelle peut paraître louable à plus d’un titre, mais la manière dont elle est organisée laisse présager une campagne visant à niveler par le bas les services publics et à, in fine, accroître les inégalités entre les voies réservées à la bourgeoisie -en particulier au niveau de l’école- et celles destinées aux classes populaires.

Par ailleurs, en fait d’un cadre strict permettant l’égalisation, c’est la loi du marché qui règne, loi du marché que l’État se borne à réguler d’une manière lâche et souple, pour ne pas nuire aux initiatives du secteur privé, désormais pleinement intégré comme partenaire.

«  l’État devra renforcer son rôle de régulateur, qui sera d’autant plus important que conception et production du service public seront ouvertes. La puissance publique doit aussi veiller à ce que le cadre normatif existant ne bloque pas les initiatives. L’ouverture des données et la transparence que nous préconisons devraient ainsi permettre d’encourager la société à participer au service public. »

Pour les agents, c’est l’épuisement accru, le diktat des managers, devenus des véritables maîtres à bord. Mais, heureusement, une parade est mise en œuvre par les créateurs de ce projet :

« La confiance passe aussi par un contrat social renouvelé, qui prend en compte les enjeux de formation, de mobilité professionnelle, permettant de mieux accompagner les agents dans les changements et dans leur parcours. Bien sûr cette confiance doit s’accompagner d’une plus grande exigence d’évaluation qui doit porter sur les résultats. »

Ce genre ce processus est responsable d’une dégradation terrible des conditions de travail dans les services publics et même dans les organes de répression de l’État bourgeois, où les taux de suicide se sont envolés. La pression, l’exigence du chiffre, les mutations-sanction, le pouvoir absolu de certains chefs ont causé des ravages. Ce système est en passe d’être étendu à l’ensemble de la fonction publique.

Le projet Cap 2022 doit répondre aux objectifs suivants : liquider une partie du corps des fonctionnaires pour faire place à une souplesse dans la gestion de la masse salariale.

Réaliser des économies en surchargeant le personnel restant, à l’image de ce qui s’est passé pour la Poste, pour France Télécom et pour la SNCF -où cela s’est traduit notamment par une hausse monstrueuse du taux de suicide, du fait de la pression des chefaillons, qui, en plus de leur inutilité, coûtent cher.

Utiliser cette liquidation des services publics pour justifier la suppression d’une partie du salaire indirect au profit d’une élévation cosmétique du salaire direct -laquelle sera dévorée par l’inflation en un temps record.

Ouvrir des marchés pour les capitalistes, marchés le plus souvent captifs permettant de réaliser des profits titanesque du fait de la situation de monopole induite.

Deuxième partie : les 22 offensives pour 2022

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