Le Brésil à la croisée des chemins – Partie 3

Le Brésil à la croisée des chemins – Partie 3

Le « moindre mal » consistait en adopter des parts du programme du PSL dont Bolsonaro était le candidat. Ainsi, entre les deux tours, le PT a intégré plusieurs éléments du programme du PSL, notamment en faisant des concessions énormes auprès de revendications portées par les religieux. En faisant cela, non seulement le PT n’a pas gagné de voix, mais il a contribué à accélérer sa décomposition. Coincé entre le marteau de la bourgeoisie et l’enclume de leur base sociale et de leur base d’appui, le PT se disloque.

Cet exemple est terriblement illustratif de la faillite de l’intégralité des directions sociale-démocrates, et ce, dans toute l’histoire de la pensée réformiste.

Le crétinisme parlementaire, les calculs politiciens, les prises de positions basées sur un « moyen-terme », sont, en dernière instance, des impasses. La sociale-démocratie ne considère sa victoire qu’au travers des urnes, qu’au travers de l’accès aux plus hautes fonctions d’un Etat intrinsèquement bourgeois, conçu, ouvragé, architecturé par la bourgeoisie pour réprimer les masses populaires. Et son accès ne se fait que par la victoire d’une « majorité » sur une « minorité » au sens le plus électoral du terme.

Pour gagner cette « majorité », au lieu d’être sincère et honnête avec les masses, même si certaines vérités peuvent être déplaisantes ou glaciales, la sociale-démocratie cherche le consensus, le flou, les déclarations qui l’entretiennent, qui permettent à chacun d’y voir ce qu’ils veulent y voir. En clair, au lieu de chercher à se démarquer de la bourgeoisie, à soulever les masses contre elle, elle vise à les faire capituler.

Elle recherche une victoire électorale « au centre », au lieu de rechercher une victoire politique « aux ailes », en attaquant frontalement la bourgeoisie, en dénonçant son discours, ses élections, son Etat.

En France, durant la dernière élection, aucun candidat, même issu des organisations les plus « radicales » n’a fait cela. Tous ont respecté le fonctionnement des élections bourgeoises, sans jamais s’attaquer à elle et sans jamais chercher à faire avancer politiquement les exploités et les opprimés. Pire, les positions, même les plus « à gauche », étaient réactionnaires dans le sens où elles ralentissaient la prise de conscience politique, la ramenaient en arrière.

Pour une grande partie des masses populaires, des exploités et des opprimés, il y a une conscience diffuse du fait que le capitalisme ne fonctionne pas, du fait que les directions successives des Etats bourgeoisie œuvrent toutes dans le sens d’une réduction des salaires, d’une baisse des niveaux de vie, d’une baisse -même- de l’espérance de vie. Il existe une conscience diffuse du fait que les élections sont des parodies de démocratie, qu’elles ne changent strictement rien sur le fond de l’affaire, car ils expérimentent dans leur chair, dans leur vie, les conséquences directes de la dictature de la bourgeoisie.

Face à cela, les sociaux-démocrates, affichés ou non, n’offrent qu’un panel de discours allant du « nous ferons mieux (dans la cogestion avec la bourgeoisie) » à « le cadre électoral n’es pas parfait » pour les plus radicaux. Dans l’un comme dans l’autre, le 4ème mur de l’electio comoedia, de la comédie électorale, n’est pas brisé.

Derrière cela, il existe l’idée, pourtant broyée par Lénine, que la question de la victoire sur la bourgeoisie n’est qu’une question de la victoire de la majorité contre la minorité. Il réside là le mythe que le fait d’accéder aux fonctions suprêmes de l’Etat bourgeois est la clé de la résolution de tous les problèmes -si tant est que ces politiciens professionnels croient un instant à leurs propres discours.

Non seulement cette position est fausse, mais elle est dangereuse politiquement. Lénine, résumant la pensée de Karl Kautsky, écrivait cela : « Si l’on raisonne en libéral, on sera obligé de dire: la majorité décide, la minorité obéit. Les désobéissants sont punis. Voilà tout. Inutile de disserter sur le caractère de classe de l’État en général et sur la « démocratie pure » en particulier; cela n’a rien à voir là dedans puisque la majorité est la majorité, et la minorité la minorité. Une livre de chair est une livre de chair, un point c’est tout ! »1

« Epris de démocratie « pure », dont il ne voit pas le caractère bourgeois, il soutient avec une « belle logique » que la majorité, du moment qu’elle est majorité, n’a pas besoin de « briser la résistance » de la minorité, de la « réprimer par la violence »; il lui suffit de réprimer les cas de violation de la démocratie. Épris de démocratie « pure », Kautsky, par mégarde, commet ici la petite erreur que commettent toujours les démocrates bourgeois, c’est à dire qu’il prend l’égalité de forme (de bout en régime bout mensongère et hypocrite en régime capitaliste) pour en l’égalité de fait ! Que cela ! »2

Comme si les exploiteurs, qui possèdent les capitaux -culturels comme financiers- les habitudes de commandement, les relais politiques et médiatiques, les moyens de production et de répression, étaient les égaux des exploités.

Nous l’avons mentionné dans plusieurs brochures précédentes traitant de la légalité bourgeoise tout comme de la dictature du prolétariat, la bourgeoisie ne fera pas de quartier si elle se sent menacée. Préventivement, elle sème les idées réactionnaires, la division au sein des masses, les troubles et le chaos dans les exploités pour les diviser et les écraser.

Or, les sociaux-démocrates, que font-ils ? Comme ces idées sont hégémoniques -car l’idéologie bourgeoise est hégémonique elle aussi- comme elles sont les idées de la majorité, ils les adoptent. Ils les adoptent et les déploient largement pour tenter de concurrencer les réactionnaires sur leur propre terrain.

Ainsi, ils avalisent les idées réactionnaires, les cajolent, soit-disant, encore, parce qu’ils écouteront les masses tout en faisant le « moindre mal ». Ils donnent raison aux fascistes et aux fascisants sur le fond, en adoptant leur programme, maquillé de social. Ainsi naissent les fractions sociales-fascistes, telles Aufstehen !, tels les discours de Kuzmanovic, tout comme avant il y eut les Mussolini, les DAP, les PPF…

La seule utilité des élections, pour les organisations communistes, pour les progressistes sincères, est d’utiliser la parodie de démocratie pour la dénoncer, pour avancer la nécessité de l’organisation indépendante des masses populaires, des exploités, des opprimés, dans leurs outils du pouvoir : les soviets, les conseils, les assemblées populaires. D’appeler à s’organiser dans les rangs des organisations qui veulent avancer vers le changement réel : les organisations communistes.

Ce sont les conclusions qui se tirent de l’expérience du mouvement ouvrier, du mouvement révolutionnaire, du mouvement communiste. Non par choix, non pas amour de l’aventure, mais par conscience du fait que la bourgeoisie, les bourgeoisies, confrontés aux mêmes difficultés économiques, sociales, ou politiques, opteront toutes par un schéma similaire : l’appel à la réaction, l’appel à l’écrasement des contestations populaire, la mobilisation réactionnaire des masses, l’appel à la liquidation du camp progressiste et révolutionnaire.

Même si l’élection de Bolsonaro au Brésil a pu gêner aux entournures certains dirigeants bourgeois qui veulent maintenir une façade de progressisme, non seulement ces dirigeants collaboreront économiquement avec le fasciste Brésilien, mais ils le soutiendront politiquement. Tout « progressistes » que se disent les Trudeau -cette droite que la gauche aime bien- les Macron, aucun océan politique ne les séparent.

1V. Lénine, Le renégat Kautsky et la Révolution Prolétarienne. (1918)

2Idem

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