Cap catastrophe, l’éducation en solde et la liquidation du corps professoral.

Cap catastrophe, l’éducation en solde et la liquidation du corps professoral.

Partie 5

E.Vertuis

La question de l’enseignement n’est pas négligée par les gouvernements successifs. Depuis le milieu des années 1990, le processus qui s’engage est celui d’une privatisation partielle ou déguisée et d’une autonomisation des établissement. Depuis plus de 15 ans, les lycées et les universités sont dans le collimateur de ceux et celles qui rêvent d’en faire des lieux de formation servant à produire une main-d’œuvre adaptée aux besoins tactiques du tissus économique local, tandis que des établissements d’élite se concentrent sur les questions d’ordre stratégique. Pour la grande bourgeoisie monopoliste, tout ceci est extrêmement bénéfique, la formation étant aux frais de l’Etat (donc du contribuable) ou de la poche même de ceux et celles qui veulent bénéficier de celles-ci, pour forger les outils que les grandes entreprises n’ont plus qu’à mettre à son service.

De plus, l’éducation et ses lieux sont des marchés lucratifs. Externalisation des cantines, implantation de lieux marchands (photocopies, restauration, loisirs…) il existe un grands nombres de marchés captifs qui excitent les convoitises.

Les stages eux-mêmes sont des affaires en or, de la main d’œuvre corvéable à merci. Par des réseaux clientélistes, certains grands consommateurs de stagiaires peuvent ainsi réduire leur masse salariale.

La question de la « masses salariale » est d’ailleurs une question qui revient inlassablement. Mettre au pas le corps professoral, briser son statut -qui est par ailleurs un des moins favorable de l’ensemble des pays de l’OCDE- et faire en sorte que son recrutement soit assuré au niveau de l’établissement, voilà un objectif stratégique que souhaitent atteindre les rédacteurs et les rédactrices de ce pamphlet.

Ce pamphlet, justement, s’intéresse dans deux propositions à la question de l’éducation, dans la proposition 8 au Secondaire, et dans la 9 au supérieur.

Voilà comment cette question est introduite :

« [l’enseignement] doit répondre à de nouveaux enjeux : donner aux enfants puis aux jeunes les connaissances et les compétences nécessaires pour trouver leur place dans la société et aborder sereinement le marché du travail, dans un monde connaissant de fortes mutations (révolution numérique, mondialisation de plus en plus complexe, évolution du cadre de vie, etc.). »

Loin d’être un point de détail, la question des connaissances et des compétences, est en réalité centrale. Centrale, car elle fait l’impasse sur une dimension de qualification, dimension reconnue juridiquement et intégrée dans les conventions collectives, donnant droit à un statut, à un salaire…etc. Ce qui n’est ni le cas des compétences, ni des connaissances. D’entrée de jeu, les rédacteurs et des rédactrices montrent leurs cartes : inféoder le système éducatifs aux désirs du patronat. Rendons à César ce qui revient à César et reconnaissons que, en revanche, ceux qui ont créé ce plan d’attaque sont lucides sur un point crucial :

« Face à ces enjeux, les constats sur les performances de notre système éducatif sont décevants : au sein de l’OCDE, la France est le pays où la situation sociale des parents détermine le plus les résultats scolaires de leurs enfants. »

Soit. Mais quelle réponse ?

Pas d’argent, déjà, puisque la ligne finale de la proposition 8 est « Cela ne passe pas par l’attribution de ressources supplémentaires – le Comité ayant d’ailleurs identifié 300 M€ d’économies dans ce domaine. » mais, au contraire, « restaurer la confiance des parents dans le système éducatif français et de répondre de manière plus adaptée aux besoins des territoires. »

Mettons de côté le premier élément. Il est pourtant, en tant que tel, déjà gênant, car il ravale la communauté pédagogique au rang de prestataire de service devant combler les désirs et répondre aux inquiétudes des parents. D’autant que le déficit de confiance est le fruit pourri d’une campagne de dénigrement orchestrée de longue date par les gouvernements successifs, tandis que les réels problèmes proviennent de l’absence de moyens et de la situation catastrophique qui en découle.

L’aspect central, dans cette phrase, ce sont les « besoins des territoires », or, qu’est ce que ce « besoin », si ce ne sont les désirs en termes de main d’œuvre du bassin d’emploi local ? En somme, il s’agit de poursuivre dans le fait de faire de l’école une division tactique du recrutement pour les patrons, et de l’inféoder aux besoins des exploiteurs. C’est d’ailleurs dans cette optique que se conçoit le nouveau bac et le plan éducatif « Bac – 3 ; Bac + 3 » qui vise, en somme, à aiguiller les élèves dès l’entrée au lycée sur des voies professionnelles sans passerelles internes et sans possibilité de réorientation.

Pour combler le déficit des vocations dans l’enseignement secondaire, le rapport préconise de faire un certains nombres de démarches « revalorisant le métier d’enseignant pour lui rendre son attractivité, avec une nouvelle vision de la carrière et du rôle dans l’équipe pédagogique ». Derrière cette platitude avec laquelle il est impossible d’être en désaccord, quelles perspectives ?

Premièrement, appliquer la RGPP [Révision Générale des Politiques Publiques] à l’enseignement. En gros, évaluer, créer des systèmes de notations, et individualiser les réponses en fonction de cela. Cela passe par le fait de concentrer les pouvoirs décisionnels entre les mains du ou de la chef d’établissement.

« mettre en place l’évaluation des établissements pour les responsabiliser, valoriser leurs initiatives et engager l’ensemble de la « communauté éducative » – chefs d’établissement, équipes pédagogiques, personnels administratifs, collectivités territoriales, parents, élèves – dans une démarche d’amélioration. Les évaluations porteraient sur un ensemble large de critères : résultats des élèves, conditions d’étude, sécurité et bien-être des élèves et des personnels, implication et animation des équipes, conditions matérielles, etc. »

Évaluer pour responsabiliser, mais autour de quels critères ? Dans les faits, cette « marge de manoeuvre » revient à libéraliser l’organisation de l’enseignement à l’échelle nationale. Non qu’il n’y ait pas de terribles inégalités entre les établissements à l’heure actuelle ! Entre, dans la région lyonnaise, un lycée à Décines et le lycée International, deux mondes existent, avec un océan entre les deux. Mais ce changement conduit à avaliser la fin de la prétendue « égalité républicaine ».

« responsabiliser davantage les chefs d’établissement notamment en leur donnant plus de marges de manœuvre pour constituer leur équipe pédagogique et élargir les postes dits « à profil » »

Les chefs d’établissement pourront assurer eux-mêmes les recrutements de leur propre équipe pédagogique. Cela libéralise le recrutement, et entraînera de manière mécanique une aggravation de la tendance au fait que les enseignants « d’élite » aillent vers les lycées «d’élite », creusant l’inégalité entre ces mondes séparés, lesquels se mueront en univers distincts et hermétiquement cloisonnés. Par ailleurs, l’échelon étatique est mis au rencard, pour être remplacé par une direction académique, amplifiant de facto, les écarts entre académies, du fait des inégalités territoriales et budgétaires.

« faire de l’académie l’échelon de décision stratégique pour la mise en œuvre de la politique éducative. Par ailleurs, le périmètre des académies serait revu pour se rapprocher de la carte des services de l’Etat sur le format des nouvelles régions»

Dans cette nouvelle organisation de l’éducation, des échelons inférieurs prennent une importance grandissante, notamment avec l’ambition de « renforcer le rôle de l’échelon départemental pour qu’il décline à son niveau les orientations régionales (stratégie d’animation pédagogique, accompagnement des établissements…) et mettre en place une gestion des carrières des enseignants ;

développer une fonction ressources humaines, mise en œuvre jusqu’au niveau départemental, pour accompagner les personnels des établissements. Cela permettrait notamment d’accompagner les personnels avant que les difficultés ne surgissent mais également d’ouvrir les enseignants vers d’autres environnements professionnels, etc. ; »

Dans cette nouvelle configuration, les projets sont développés au niveau du département, donc au niveau de la « réalité du tissu économique », tandis que les carrières des enseignants peuvent être évaluées à l’aune de leur capacité à développer l’intégration de l’établissement dans celui ci. L’ouverture des enseignants aux «autres environnements professionnels » ne peut être comprise que ou comme une volonté d’intégrer l’économie extérieure dans l’établissement ou comme une volonté d’intégrer les enseignants dans l’espace économique local, comme une forme de nouvelle perspective de carrière.

Par ailleurs, les rédacteurs du pamphlet rétro-pédalent sur l’intégralité du projet mis en place par Sarkozy, celui de la masterisation des concours. En fait de Master 2 pour les recrutement, le projet semble être de revenir à la licence comme base.

« Revoir la formation des enseignants afin qu’elle favorise l’exercice du métier mais aussi les mobilités professionnelles et la diversité des carrières :

la formation initiale doit être revue selon plusieurs modalités : tout d’abord le moment du concours pourrait intervenir dès la fin du cycle de licence, afin de consacrer les deux années de master à une formation en alternance dans laquelle la pratique mais aussi la réflexion autour des pratiques pédagogiques occupent une place de choix »

Cela pourrait être vu comme un succès, cependant l’énigme de la « formation en alternance » en lieu et place du stage pose des questions importantes. Surtout, cette proposition ne s’inscrit pas dans une logique de retour au système précédent, mais bien de bond en avant dans la liquidation du corps enseignant sous son statut actuel. Le fond de l’affaire concernant la situation des enseignant, le voici :

« augmenter le temps d’enseignement des enseignants du secondaire actuels avec un recours à deux heures supplémentaires, ce qui conduira à améliorer leurs rémunérations, et créer pour cela un nouveau corps d’enseignants qui pourrait se substituer progressivement à celui de professeur certifié. Pour ce nouveau corps, que les enseignants pourraient rejoindre sur la base du volontariat, le temps d’enseignement serait supérieur à celui des professeurs certifiés mais la rémunération serait également supérieure. Par ailleurs, on pourrait leur proposer des dynamiques de carrière plus intéressantes. Ce corps serait soumis à des obligations supplémentaires (bivalence, annualisation d’une partie du temps d’enseignement, obligation de remplacement dans l’intérêt du service) qui offriraient plus de souplesse aux chefs d’établissement. »

En somme, un corps spécial, qu’il est possible de rejoindre sur la base du volontariat, mais qui se substituerait à terme aux enseignants « classiques » naîtrait. Il est notable de voir que la notion de volontariat n’a pas ici son sens classique.

Ce corps spécial serait donc constitué de tâcherons effectuant plus d’heures, devant enseigner plusieurs matières, aux heures modulables et servant d’ailleurs de variables d’ajustement aux chefs d’établissement. En somme il s’agit de l’institutionnalisation de la précarité dans l’enseignement.

Dans les faits, ce qui se profile est un pouvoir du chef d’établissement -qui devient un dieu tout puissant- dans la gestion d’une masse salariale qui se composera de plus en plus de contractuels, et qui tarira progressivement les recrutements faits selon la modalité de la certification. Des recrutements qui pourront appâter le candidat ou la candidate en faisant miroiter des carrières florissantes et une échelle des salaires plus souples, mais qui œuvrent surtout à creuser le fossé immense qui existe déjà dans les établissement. Fossé, qui, par ailleurs, sera acté d’une manière fracassante avec l’arrivée du contrôle continu qui se substitue en partie aux épreuves du bac.

Libéralisation et dérégulation des conditions d’examen entraînent fatalement une variation de la valeur des baccalauréats passés dans les lycées, ce qui, avec le scandaleux Parcoursup, pulvérise la valeur du baccalauréat et sclérose encore les inégalités sociales.

Quant à l’espoir de voir des moyens nouveaux arriver, ils sont immédiatement liquidés par le fait que l’intégralité de ce projet est architecturé autour de l’idée d’économiser des sommes considérables. Une nouvelle fois, la bourgeoisie, elle, s’en moque. Ses enfants, même les plus médiocres, ont leurs écoles, leurs réseaux, leurs pistons, leurs moyens de se reproduire socialement.

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